Comment financer un nouveau média ? 💰

Philippe Vion-Dury explique comment Fracas a fait !

Après 13 éditions, voici la dernière. La Média’Tech, c’est terminé pour cette année. Merci d’avoir été au rendez-vous et de nous avoir lus. Notre petite équipe est fière et a pris beaucoup de plaisir à vous informer sur cet espace médiatique en plein changement. De l’IA aux actualités internationales, en passant par des chiffres et des interviews enrichissantes, inspirantes et parfois étonnantes, nous espérons que vous avez aussi pris du plaisir à nous lire. À très vite, et en attendant, savourez cette dernière newsletter !

🎙️Média’Talk : On reçoit Philippe Vion-Dury, journaliste et cofondateur de Fracas, un nouveau média dédié aux « combats écologiques ».

🤖 IA quoi ? : Grok, l’IA d’Elon Musk basée sur des tweets, pas des faits.

🌎 Vu d’ailleurs : Des journalistes menacés pour avoir traité du réchauffement climatique, le dispositif de l’AFP pour les élections européennes et le média tunisien Inkyfada victime du tournant répressif du président Kaïs Saïed.

📊 Infographix : La BBC, vraiment un modèle pour France Médias ?

« Le verdissement du service public et des médias en général n’a pas du tout été opéré, les clichés et les défauts restent les mêmes. »

Fracas, c’est le nouveau né des médias indépendants autour de l’écologie. Fondé par l’ancienne rédaction de Socialter, partie il y a un an à la suite de désaccords avec la direction, il prend la forme d’un magazine trimestriel et d’une chaîne YouTube et se lance dans une période où les questions écologiques semblent moins à la mode dans les médias. Notamment dans le service public, où l’annulation de plusieurs émissions comme Vert de Rage et Planète bleue ont vivement fait réagir. Dans ce contexte particulier, Philippe Vion-Dury, le cofondateur de Fracas vient nous parler du succès de la campagne de financement de ce média qui veut lier enjeux politiques et écologiques.

Pouvez-vous présenter le projet Fracas ?

Notre ambition c’est de créer le média des combats écologiques où on fait dialoguer les différentes sensibilités de l’écologie politique. Écoféminisme, soulèvements de la terre, groupes aux stratégies électoralistes ou anti-électoralistes… il y a besoin d’un espace de discussion au milieu de cette galaxie militante. On se veut compagnon de route des mouvements sociaux liés de près ou de loin à l’écologie. C'était une phrase de Godard qui disait : « Je ne fais pas du cinéma politique, je fais politiquement du cinéma. » Nous, on ne fait pas du journalisme politique, mais on fait politiquement du journalisme.

Vous vous lancez à un moment où on apprend la suppression de beaucoup d’émissions autour de l’environnement, notamment dans le service public. Qu’en pensez-vous ?

C’est aussi la vie des médias que des émissions s’arrêtent. Le problème ici, c’est qu’elles ne sont remplacées par rien. Alors qu’il y a un an le service public communiquait énormément sur son tournant environnemental, après avoir signé la « charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique », dont je suis l’un des architectes. 

Quand on regarde avec un œil d’observateur, surtout avec dix ans d’expérience dans les médias, on voit que le verdissement du service public et des médias en général n’a pas du tout été opéré. Les clichés et les défauts restent les mêmes. Ces annulations d’émissions en cascade sans remplacement, on ne peut que voir ça comme une attaque ordonnée contre l’écologie qui est vue comme un vecteur de politisation à gauche.

Est-ce que lancer Fracas dans ce contexte donne plus de force à votre média ?

Peut-être indirectement, car nous n’avons pas le même public. Nous visons des personnes déjà engagées, pour leur donner une information qui soit plus pointue, plus stratégique par rapport aux enjeux de lutte. Le service public s’adresse à un audimat beaucoup plus large.

Mais les médias engagés ont besoin du service public. C’est irremplaçable : personne n’a autant de moyens pour faire des enquêtes, du reportage long plus pédagogique autour de l’écologie. Ce sont des sas de politisation qui font que d’abord on prend la main sur ces questions, avant de voir comment l’écologie est liée aux enjeux sociaux. C’est ensuite que les personnes se dirigent vers une presse plus spécialisée, écolo et radicale. On est en train de casser ces ponts de politisation et d’écologisation.

Votre campagne de financement est un succès, preuve que l’écologie est encore un thème qui intéresse ?

Nous avons pu récolter 160 000 euros lors de notre campagne de précommande, avec 3 500 contributeurs, c’est assez inespéré. Ce qui fait de Fracas le plus gros lancement pour un média indépendant autour de l’écologie ! Cela nous permet de créer une trésorerie et de voir venir. C’est un soulagement, car nous sommes dans une période où le modèle du crowdfunding est en crise et tout simplement l’inflation fait que les gens ont moins d’argent à donner. Un tel succès, c’est la preuve qu’il y a tout de même un besoin de parler d’écologie et de luttes après le mouvement unitaire qu’il y a eu l’été dernier contre les méga-bassines de Sainte-Soline. 

Mais on se rend compte que sur cette grosse somme qui paraît impressionnante, 160 000 euros, il y a déjà 20 000 euros pour rembourser les frais de la campagne de financement. Et pour fabriquer le premier numéro, c’est 45 000 euros, plus 20 000 pour le distribuer. Nous voulons être très transparents autour de ces chiffres, par respect pour nos lecteurs mais aussi car sinon les personnes se disent « ah ben c’est bon, ils vont réussir » et ils n’aident pas alors qu’ils auraient pu.

Le statut juridique de Fracas est une SCOP, pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous sommes un média sous forme de coopérative SCOP (Société coopérative de Production). Ce statut permet une vraie démocratie des travailleurs, car ce sont les salariés qui détiennent le capital du média. Nous ne sommes pas les premiers à adopter ce modèle : Alternatives Economiques, Politis ou encore Le Média sont aussi sous ce statut.

Cela s’explique par nos idéaux politiques et comment nous nous voyons exercer le métier. Si un acteur met 10 000 euros ou 1 million dans le capital de la coopérative, il n’aura de toute façon qu’une voix parmi celle des travailleurs. Donc forcément ça dissuade le capital privé d’investir dans ce type d’aventure. On a bien compris que nous avons un lectorat engagé qui veut un média qui lui corresponde.

Propos recueillis par Josué Toubin-Perre

Grok, l’IA d’Elon Musk basée sur des tweets, pas des faits

Ça y est, il débarque en Europe. Grok, le premier modèle d’intelligence artificielle générative d’Elon Musk, devrait être accessible à tous les utilisateurs de X du vieux continent « une fois les élections européennes terminées », soit le 9 juin prochain. Les abonnés premium peuvent déjà converser avec un chatbot « made in Grok ». Mais l’extravagant milliardaire l’assure, tout le monde aura accès à la nouvelle fonctionnalité de cette IA : « Stories ». Sa promesse ? Un résumé automatique de l’actualité, ultra réactif et nourri de multiples sources sur X.

Comment ça marche ?

Le concept est simple, moins extraordinaire qu’Elon Musk veut bien le présenter : compiler, ordonner et hiérarchiser automatiquement les messages publiés sur X pour en tirer des résumés d’informations sur les thèmes qui font l’actualité. L’idée étant d’avoir une vision en temps réel de l'actualité et, surtout, de la manière dont elle est commentée. Plus prosaïquement, « il s'agit de résumer ce que les gens disent sur X », indique lui-même Musk, sans donner à priori de légitimité supérieure à des informateurs reconnus ou spécialistes du sujet en question.

Une IA déjantée ?

Cette énième nouveauté présentée par X interroge un peu plus sur la crédibilité de Grok, connue jusque-là pour livrer des informations peu fiables, voire totalement loufoques. Sur X, le mode « fun » de Grok est d’ailleurs activé par défaut. Quand Raphael Grably, journaliste à BFM Business, lui demande par exemple des précisions sur la situation explosive en Nouvelle-Calédonie, voilà sa réponse : « La Nouvelle-Calédonie est en train de devenir le nouveau Disneyland pour les adultes, mais au lieu de Mickey Mouse, on a des manifestations et des émeutes ! » Lors de la présentation de son IA, Musk s'amusait déjà des réponses décalées fournies par son modèle sur la préparation d’une recette de « cocaïne maison ». Une mise à distance des faits et de la vérité presque assumée, au service d’une croisade politique “anti-woke”.

Un pied de nez aux médias traditionnels

Loin des faits, et des médias qui les relaient. La fonctionnalité « Stories », en assumant de piocher l’information parmi un torrent de tweets non vérifiés, vise explicitement à esquiver le travail des médias traditionnels. Ou plutôt de se servir gratuitement des réactions que suscitent leurs articles et leurs contenus. Un projet qui s’inscrit dans une politique d’invisibilisation des titres de presse sur X. Depuis que Musk, arrivé en octobre 2022, est aux manettes, finis les liens visibles vers les articles et la mise en valeur des comptes de journalistes.

Gare aux fake news et manipulations

Pas de quoi rassurer dans un contexte de prolifération des fake news. « X n'ayant pas une politique de modération très forte, il y a beaucoup de questions sur la véracité, d'autant qu'il pourrait y avoir des robots qui créent des commentaires pour influencer un courant de pensée », précise Diego Ferri, directeur de la stratégie chez Fabernovel, pour Les Echos. Le 4 avril dernier, X annonçait ainsi dans ses « sujets tendances » que l’Iran venait de lourdement bombarder Tel-Aviv… Dix jours avant que l’attaque n’ait vraiment lieu. Tout ça sur la base de fausses publications reprises par l’IA. Grok n’a qu'à bien se tenir : l’UE a ouvert une enquête sur la faible modération de la plateforme. 

Écrit par Christian Mouly
  • Plus de 70 % des journalistes qui traitent des questions environnementales ont été menacés partout dans le monde

L’Unesco met en garde. Dans son rapport « Presse et planète en danger » dévoilé début mai, l’organisation de l’ONU alerte sur les menaces, pressions et attaques contre les journalistes traitant des questions environnementales. Sur 905 journalistes interrogés dans 129 pays, plus de 70 % d’entre eux ont été la cible de pressions après des enquêtes sur le réchauffement climatique. Deux sur cinq ont même subi des violences physiques. Ces menaces ne sont pas nouvelles. L’Unesco note une hausse de 42 % de ces pressions (psychologiques ou physiques) entre 2019 et 2023 par rapport à la période 2014-2018. Depuis 2009, au moins 44 journalistes ont été tués pour avoir traité du changement climatique. La raison ? Ils « recoupent souvent des activités économiques très rentables, telles que l’exploitation forestière illégale, le braconnage ou le déversement illégal de déchets », explique l’organisme. Conséquence : 45 % des journalistes interrogés disent s’autocensurer. Une alerte à prendre au sérieux alors que la liberté de la presse recule partout dans le monde, selon le dernier rapport de Reporters sans frontières.

  • L’AFP mise sur le fact-checking pour les élections européennes

Alors que les élections européennes approchent à grand pas, l’AFP avait dévoilé en mars dernier les contours de son dispositif éditorial, orientée vers le fact-checking. Formations pour des journalistes, création d’une base de données, lutte contre l’IA… tout est fait pour lutter contre la désinformation. Concrètement, l’agence de presse publie aussi régulièrement des vidéos, sous un format « AFP Fact-Check », visant à déconstruire des informations erronées. Des rumeurs sur les Parisiennes incitées à accoucher avant le début des JO au changement climatique inventé par Greenpeace, tous les thèmes sont traités et vérifiés.  Le but est aussi de donner des outils pour traquer les fake-news et vérifier des informations, comme la recherche sur le web à partir d’une photo. Mais d’autres projets se sont également mis en place pour garantir aux citoyens européens une information fiable. C’est le cas de Elections24Check. L’AFP y collabore avec d’autres médias et agences de presse de toute l’Europe, comme l’agence allemande DPA. Soutenu par Google, le but du projet est de lutter contre la désinformation.

  • Le média tunisien Inkyfada, victime du tournant répressif du gouvernement de Kaïs Saïed

Suite à la révolution de 2011, de nombreux médias indépendants et alternatifs ont vu le jour, comme Inkyfada, en 2014. Or, depuis le tournant répressif du président tunisien Kaïs Saïed en juillet 2021, de nombreuses lois ont été passées visant à museler les journalistes. C’est notamment le cas du décret-loi 54. Censé lutter contre les fake-news, il représente une menace pour les médias. Aucune définition n’est donnée du terme fausse information. Le gouvernement est libre de poursuivre quiconque critiquerait le régime. Depuis ces mesures, des journalistes sont emprisonnés. Jeudi 23 mai, Houssem Hajlaoui, cofondateur d’Inkyfada, a été condamné à 9 mois de prison avec sursis pour « atteinte à autrui sur les réseaux sociaux ». En mai, la chroniqueuse et avocate Sonia Dahmani avait été la cible d’une arrestation musclée pour des propos sur la situation de la Tunisie. Le pays est 118e sur 180 dans le classement de la liberté de la presse de RSF.

Écrit par Thibault Linard
Infographie réalisée par Khadidiatou Goro

Et pour finir…

80 ans, ça se fête. De la création du journal par Hubert Beuve-Méry en 1944 jusqu’à la prise en main économique du groupe par Xavier Niel, en passant par les années qui ont vu Edwy Plenel à la tête de la rédaction, Le Monde revient sur 80 années de traitement médiatique des grandes questions sociales, politiques et internationales dans une série d’articles à paraître jusqu’en décembre 2024. Une introspection critique passionnante qui met en parallèle les évolutions du journal et de la société.