📰: Comment réinventer le format magazine en 2024 ?

On parle aussi de ces avatars qui prennent la place des journalistes à la télévision et la radio, du coût environnemental de l'IA, d'un projet qui permet de comprendre la fabrication des fake news par une IA et d'une newsletter qui décrypte le vrai du faux sur le changement climatique.

Sommaire : Clémence Duranton, Avatars, Climat, Bullshit O'Meter, Monde 3D, Multi, Culture, Google, Data center
Rubrique : L'Ă©dito

Une petite radio polonaise, Off Radio Krakow, a mis fin Ă  une expĂ©rimentation liĂ©e Ă  l’IA aprĂšs une vive polĂ©mique le mois dernier. En cause : des animateurs virtuels menant des interviews avec des clones numĂ©riques de personnalitĂ©s, dont une dĂ©cĂ©dĂ©e. AggravĂ©e par le licenciement de journalistes peu de temps avant, la controverse a relancĂ© le dĂ©bat sur les usages de l’IA dans les mĂ©dias, alors que la rĂ©glementation qui l’entoure reste floue.

Ces avatars de journalistes ne sont pas nouveaux, et on avait dĂ©jĂ  entendu parler de Channel1 aux États-Unis, une start-up qui a lancĂ© sa chaĂźne d’information entiĂšrement animĂ©e par des clones de journalistes. Des images de synthĂšse telles que celles utilisĂ©es dans les JTs de Channel1 font rĂ©guliĂšrement parler d’elles pour leur manque d’authenticitĂ©. Il reste que la vĂ©rification des faits, au cƓur du mĂ©tier de journaliste, conserve totalement sa place au sein de la presse 2.0.

Si les mĂ©dias doivent continuer de se questionner sur l’éthique de l’IA, n’y a-t-il pas des cas oĂč cette derniĂšre a tout son sens ? Au Venezuela, oĂč la libertĂ© de la presse est menacĂ©e, douze mĂ©dias se sont rĂ©cemment associĂ©s pour crĂ©er le projet OperaciĂłn Retuit. Des prĂ©sentateurs virtuels sont utilisĂ©s pour continuer Ă  informer sur les rĂ©seaux, tout en protĂ©geant l’identitĂ© des journalistes.

Rubrique : L'interview

Multi, le magazine culturel 100 % numérique

LancĂ© en septembre 2024, Multi est un magazine mensuel, culturel et connectĂ©, dĂ©diĂ© aux contenus numĂ©riques. À sa tĂȘte, ClĂ©mence Duranton, fondatrice et rĂ©dactrice en chef. Ancienne journaliste Ă  Paris Match, elle a dĂ©cidĂ© de se lancer dans l’aventure de la presse numĂ©rique. Elle nous explique comment son magazine attire un nouveau public, modernise les pratiques journalistiques et innove dans le secteur.

Pouvez-vous nous présenter Multi ?

Multi, c’est un magazine « connectĂ© » entiĂšrement dĂ©diĂ© Ă  la culture. Ce n’est pas qu’un site, c’est un vrai magazine que l’on peut feuilleter sur son smartphone ou son ordinateur comme on le ferait avec un exemplaire papier. On veut que ce soit une vraie expĂ©rience immersive et interactive. Par exemple, le lecteur peut cliquer sur l’article de son choix dans le sommaire et ĂȘtre redirigĂ© sur la page qui correspond. Notre souhait Ă©tait de diversifier les formats, tout en conservant un rĂ©sultat fluide. Au lieu de simplement lire un texte, on peut avoir une vidĂ©o qui prĂ©sente un sujet comme celui concernant MrBeast (premier youtubeur du monde en nombre d’abonnĂ©s, NDLR) dans le premier numĂ©ro. Ça ajoute un cĂŽtĂ© ludique, et ça permet de faire respirer le magazine. Il est aussi possible d’écouter une chronique en complĂ©ment de l’article Ă©crit, comme celle de Catherine Schwaab sur Tim Burton. C’est une façon de rendre le tout plus vivant et dynamique. Sans oublier le cĂŽtĂ© pratique, le lecteur peut acheter un billet ou regarder une bande-annonce directement depuis le magazine. L’idĂ©e n’est pas uniquement de faire quelque chose de joli, mais de crĂ©er une immersion, et d’ajouter une dimension au sujet.

Pourquoi lancer un média connecté ?

Je viens du journalisme « traditionnel », et venant d’une gĂ©nĂ©ration connectĂ©e, je trouvais dommage qu’on n’utilise pas assez les outils multimĂ©dias disponibles aujourd’hui. C’est pour cela que j’ai dĂ©cidĂ© de lancer ce magazine, avec l’idĂ©e de crĂ©er un outil tech. Ça rentre totalement dans l’air du temps. Je voulais quelque chose de diffĂ©rent. J’avais envie de sortir du bruit constant oĂč l’on voit toujours les mĂȘmes choses. J’ai aussi rĂ©flĂ©chi Ă  qui je voulais toucher. DĂšs le dĂ©part, je voulais m’adresser Ă  une cible dĂ©laissĂ©e par la presse traditionnelle, Ă  mes yeux : les 25-45 ans. Les jeunes vont chercher leurs infos sur TikTok, Instagram ou YouTube. Les plus ĂągĂ©s ont leurs habitudes avec la presse papier, mais la gĂ©nĂ©ration au milieu, celle qui veut du fond et des infos pertinentes, se sent oubliĂ©e.

Quelles ont Ă©tĂ© les ressources nĂ©cessaires Ă  la rĂ©alisation d’un tel projet ?

La crĂ©ation du magazine a Ă©tĂ© un projet assez complexe qui a pris neuf mois. On a dĂ» repenser complĂštement la maquette et l’expĂ©rience de lecture pour qu’elle soit accessible sur diffĂ©rents supports : ordinateur, tĂ©lĂ©phone
 Mais aussi pour qu’elle puisse correspondre Ă  nos idĂ©es tout en Ă©tant fonctionnelle. Contrairement Ă  Cafeyn, notre magazine n’est pas qu’un PDF, c’est vraiment un format interactif inĂ©dit qui demande un savoir-faire technique important. Il a fallu trouver des experts en webdesign et dĂ©veloppement pour crĂ©er ce contenu multimĂ©dia sans alourdir l’expĂ©rience ou le tĂ©lĂ©chargement. La maquette a Ă©tĂ© vraiment soignĂ©e, avec l’aide de directeurs artistiques, pour que ce soit Ă  la fois beau et fonctionnel. Aujourd’hui, je suis accompagnĂ©e par quatre journalistes pigistes et deux photographes, mais on espĂšre pouvoir s'agrandir.

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Multi n’est pas qu’un PDF, c’est vraiment un format interactif inĂ©dit qui demande un savoir-faire technique important.

Clémence Duranton, fondatrice et rédactrice en chef du magazine Multi

Avez-vous eu des retours ? Quels sont-ils ?

Lancer un magazine numĂ©rique dans un contexte de crise de la presse, c’est vrai que ça a pu sembler audacieux pour certains. Beaucoup se demandaient si ça allait marcher, et je comprends ces doutes. Ce qui m’intĂ©resse, ce sont les retours des lecteurs, et ils sont positifs. Nous les recevons via un formulaire sur notre site ou sur les rĂ©seaux sociaux comme Instagram et LinkedIn. À terme, lorsque nous aurons plus de recul, nous envisageons de lancer une enquĂȘte. Ce qui plaĂźt Ă©normĂ©ment, c’est l’aspect interactif. Les gens aiment feuilleter le magazine, cliquer pour acheter un billet pour un spectacle, dĂ©couvrir une bande-annonce de film. C’est pratique et ludique Ă  la fois. J’ai mĂȘme des lecteurs qui m’ont dit s’amuser Ă  chercher les liens, parce qu’ils ne sont pas toujours prĂ©sentĂ©s de maniĂšre explicite. Il y a Ă©galement ce cĂŽtĂ© chaleureux qui ressort beaucoup. Dans notre maniĂšre d’écrire, on a voulu ĂȘtre proches, accessibles, parler aux gens comme Ă  des Ă©gaux, sans les prendre de haut ni les infantiliser. Je me mets toujours Ă  leur place en me demandant : qu’est-ce que j’aimerais lire, comment j’aimerais qu’on me parle ?

Quelles sont vos perspectives pour l’avenir ?

Nous avons voulu rendre le magazine accessible, avec un premier numĂ©ro gratuit. Afin de maintenir un tarif raisonnable, surtout pour les jeunes et les plus modestes, seul le dernier numĂ©ro est au tarif plein (4,99 euros). Les numĂ©ros prĂ©cĂ©dents sont Ă  moitiĂ© prix. C’est un principe que l’on veut conserver, et si je peux baisser le prix Ă  l’avenir, je le ferai. Mais on veut vraiment se dĂ©velopper, c’est essentiel. L’idĂ©e est de le faire vivre, d’élargir l’équipe, de diversifier les contenus et de continuer Ă  aller plus loin. Multi a la force d’ĂȘtre un format avant tout, et donc de pouvoir ĂȘtre dĂ©clinĂ©, voire de devenir une marque. L’idĂ©e est donc de dĂ©velopper d’autres magazines sur le mĂȘme modĂšle mais avec des thĂšmes diffĂ©rents. Par exemple, sur la cuisine, le sport ou le bien-ĂȘtre.

Rubrique : L'infographie
nfographie sur le coĂ»t environnemental de l'intelligence artificielle, mettant en avant le cas de Google. Les Ă©lĂ©ments principaux incluent : Une citation : « Le cloud, c'est l'ordinateur de quelqu'un d'autre. » Explication du fonctionnement des data-centers, infrastructure nĂ©cessaire pour hĂ©berger les modĂšles d'IA. Une requĂȘte Ă  un modĂšle de langage consomme en moyenne 10 fois plus d'Ă©nergie (environ 3 Wh) qu'une recherche Google. La consommation totale des data-centers de Google en 2023 est estimĂ©e Ă  24 tĂ©rawattheures (Ă©quivalente Ă  la production d'une centrale nuclĂ©aire comme celle de Bugey). Google a Ă©mis 14,3 millions de tonnes de CO2 en 2023, avec une augmentation depuis 2019 due aux besoins Ă©nergĂ©tiques croissants de ses data-centers. 20 milliards de litres d'eau ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour le refroidissement des data-centers de Google en 2022. Sources : Agence Internationale de l'Énergie, Google, Vox, Bloomberg.
Rubrique : Med.IA

Bullshit'O'Meter : une IA qui met en lumiÚre les biais des récits politiques

La MĂ©dia’Tech : Salut Med.IA ! Il y a quelques jours, on m’a parlĂ© du “Bullshit’O’Meter” lancĂ© par le mĂ©dia australien Crikey. Qu’est-ce que c’est ? Med.IA : Le “Bullshit’O’Meter” est un projet lancĂ© le 29 octobre dernier, en marge de l’élection prĂ©sidentielle aux États-Unis, par le mĂ©dia australien Crikey. LancĂ© en 1993, ce pure player, qui se prĂ©sente comme “indĂ©pendant des mĂ©dias mainstream”, est connu pour ses enquĂȘtes et son dĂ©cryptage critique, voire satirique, de l’actualitĂ©. Le concept de son “Bullshit’O’Meter” reprend sa ligne Ă©ditoriale, en montrant aux internautes Ă  quel point il est dĂ©sormais possible, grĂące Ă  l’intelligence artificielle, de tronquer une info factuelle pour en faire du sensationnel. Et, en creux, dĂ©montrer pourquoi l’IA ne remplacera jamais la rigueur et la recherche de faits de “vrais” journalistes bien humains. La MĂ©dia’Tech : C’est plutĂŽt original, comme idĂ©e ! Comment ça fonctionne ? Med.IA : Le site du “Bullshit’O’Meter” propose une sĂ©lection de six articles concernant Pamala Karris, Tronald Dump, Wim Talz ou encore Saylor Twift. Bien entendu, toute ressemblance avec des personnes rĂ©elles est purement fortuite. À l’aide d’un curseur, il est possible d’orienter le narratif plutĂŽt Ă  droite (cĂŽtĂ© RĂ©publicain) ou Ă  gauche (cĂŽtĂ© DĂ©mocrate). L’intelligence artificielle rĂ©Ă©crit alors l’article et modifie certains Ă©lĂ©ments de langage pour coller Ă  la vision souhaitĂ©e. Ainsi, selon que la balance penche cĂŽtĂ© RĂ©publicain ou DĂ©mocrate, les Ă©lĂ©ments modifiĂ©s sont mis en Ă©vidence avec des highlights. La MĂ©dia’Tech : Des projets journalistiques autour de l’IA, on en voit plein. Qu’est-ce qui fait l’intĂ©rĂȘt de celui-ci ? Med.IA : L’un des atouts majeurs du “Bullshit’O’Meter”, c’est son aspect rĂ©tro, ludique et interactif, avec une touche d’humour, comme la parodie des noms de candidats. Chaque modification de l’IA sur un contenu est accompagnĂ©e d’une explication dĂ©taillĂ©e, qui met l’accent sur la perception du rĂ©cit. L’autre atout majeur, c’est la proposition diversifiĂ©e d’articles, qui donne une vision globale des possibilitĂ©s qu’offre l’IA. Bonus : la thĂ©matique de l’élection prĂ©sidentielle amĂ©ricaine n’est que le dĂ©but, et Crickey ambitionne d’étendre ce test Ă  d’autres sujets d’actualitĂ© ! La MĂ©dia’Tech : D’accord, merci Med.IA ! À trĂšs vite pour en savoir plus sur les nouveautĂ©s dans le monde de l’IA et des mĂ©dias !

👉 Le lien ici 

Rubrique : Bref

Une initiative média pour (re) sacraliser le débat citoyen

Discuter plusieurs heures avec un inconnu, aux opinions totalement diffĂ©rentes des siennes, sur des sujets clivants ; ce n'est pas vraiment synonyme d’un bon moment.

C’est pourtant ce que proposent Brut et La Croix avec leur projet “Faut qu’on parle” : un rendez-vous entre parfaits inconnus pour Ă©changer, s’interroger et dĂ©battre sur des sujets allant de la religion Ă  la politique en passant par le rĂ©chauffement climatique. 6 000 personnes ont jouĂ© le jeu et se sont rencontrĂ©es le 23 novembre dernier pour des retours trĂšs positifs. “À l’issue des rencontres, 80 % des participants Ă©taient trĂšs heureux de la discussion, 60 % sont restĂ©s en contact et 90 % veulent participer Ă  nouveau”. Certains participants rĂ©sument l’expĂ©rience : â€œun simple oui ou non ne suffit toujours pas” pour rĂ©pondre Ă  des questions complexes comme “Doit-on rĂ©tablir l’impĂŽt sur la fortune ?”

Cette initiative, inspirĂ©e d’un projet similaire lancĂ© en 2017 par le quotidien allemand Die Zeit, permet de “briser les bulles de filtre”. Et aussi de se rendre compte que dĂ©battre simplement est possible, mĂȘme avec quelqu’un qui ne partage pas nos opinions.

Chaleurs Actuelles, la newsletter qui décrypte les discours inflammables

Pour lutter contre les discours climatosceptiques et les fake news, Vert, mĂ©dia Ă©colo numĂ©rique, lance une newsletter mensuelle : Chaleurs Actuelles. L’objectif ? Apporter des clĂ©s de comprĂ©hension aux lecteurs afin qu’ils puissent connaĂźtre le vrai du faux concernant le dĂ©rĂšglement climatique. Mais aussi, comprendre comment fonctionne l’extrĂȘme droite, en France et ailleurs ; quels sont leurs Ă©lĂ©ments de langage et qui contrĂŽle les mĂ©dias dits d’extrĂȘme droite.

GrĂące Ă  cette newsletter, les Ă©quipes de Vert ont pour ambition de dĂ©bunker les “derniĂšres dingueries climatosceptiques”, notamment celles de l’extrĂȘme droite. Elle proposera aussi des enquĂȘtes et des reportages sur des thĂ©matiques environnementales et s’accompagnera d’une nouvelle rubrique sur le site web du mĂ©dia.

L’intelligence artificielle spatiale, une (r) Ă©volution signĂ©e World Labs

Avez-vous dĂ©jĂ  rĂȘvĂ© de vous promener Ă  l’intĂ©rieur d’un monde fantastique ou d’une peinture cĂ©lĂšbre comme La Nuit ÉtoilĂ©e de Van Gogh ?

La start-up World Labs travaille pour rĂ©aliser ce rĂȘve, en gĂ©nĂ©rant des mondes 3D rĂ©alistes basĂ©s uniquement sur une image. Ce projet, menĂ© par Fei-Fei-Li, professeure Ă  Stanford et chercheuse spĂ©cialisĂ©e dans l’IA, en est Ă  sa premiĂšre phase de test et est accessible uniquement Ă  des professionnels (graphistes, artistes
) qui collaborent avec la start-up. Les premiĂšres images de ce projet ont Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©es et montrent un panel de mondes, mais aussi des effets possibles comme avancer, reculer, interagir avec l'environnement ou encore bouger la camĂ©ra. Ce type d’intelligence artificielle pourrait bouleverser la maniĂšre dont les jeux vidĂ©o sont crĂ©Ă©s, mais aussi intervenir lors de la production de films.

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Merci pour votre fidélité, à bientÎt ! Cette newsletter a été réalisée par Charlotte Delfosse, Edwige Denis Ward Doncoeur , Axel Favrot, Ellyn Mainguy, Quentin-Mathéo Pihour, Alexandre Thibout. Etudiants à l'ESJ Lille. Encadrement : Auriane Guérithault.