L'enquête illustrée, c'est aussi sur Internet !

La Revue XXI nous raconte la conception de son site d'investigation

Branle-bas de combat dans le monde des médias ! De (petites) révolutions naissent dans tous les sens. En témoigne l’accord entre OpenAI et Le Monde, le premier pour un éditeur de presse en France. Mais l’autre révolution de ces derniers jours, c’est la création d’un site web pour la Revue XXI, 16 ans après la création du média de reportages au long cours. La Média’Tech, elle, reste dans vos boîtes mail, en vous souhaitant une bonne lecture !

🎙️Média’Talk : On reçoit Elsa Fayner, rédactrice en chef de la Revue XXI

🤖 IA quoi ? : Le Monde signe un accord avec OpenAI, une première en France. Quelles conséquences et quelles réactions des autres médias ?

🌎 Vu d’ailleurs : La stratégie du Financial Times pour racheter des médias innovants, la naissance d’un géant du streaming en Inde et le succès de l’application de recettes de cuisine du New York Times

📊 Infographix : Le succès d’Arte sur Twitch, un mélange qui clique !

« Le site va toucher plus de monde, mais la revue imprimée reste le pivot. »

Créé en 2008, XXI a longtemps incarné la réussite du mook à la française, au point d’inspirer de nombreux titres. Après plusieurs années difficiles, la revue a été reprise en octobre dernier par Indigo, éditeur de plusieurs newsletters, dont La Lettre. Une nouvelle ère entamée avec un nouveau site internet, inauguré le mois dernier et un abonnement numérique à 9 euros par mois pour le lancement. Elsa Fayner, rédactrice en cheffe de XXI depuis 2022, nous livre les objectifs de cette conversion numérique.

Pourquoi lancer un site internet pour une revue dont l’identité historique repose sur le format papier ?

Il y a quinze ans, XXI était le premier mook en France, c’était quelque chose de très novateur. Depuis, d’autres mooks se sont créés, les smartphones sont arrivés, Netflix aussi. L’offre médiatique et culturelle est maintenant pléthorique. Ce qui faisait la particularité de XXI n’est plus unique. Par ailleurs, la vente papier se révèle parfois compliquée, comme l’ont montré les derniers confinements. D’autant que XXI se vend uniquement en librairie, pas en kiosque, ce qui est un modèle fragile : tout le monde n’y a pas accès près de chez lui, avec de fortes inégalités selon les territoires. Il était difficile en 2024 de ne paraître qu’en dehors d’un support numérique. Le défi était donc d’imaginer XXI sous la forme d’un site internet qui reste fidèle à son état d’esprit.

A qui avez-vous fait appel pour créer le site ? Avec quels objectifs ?

Nous avons fait appel à Datagif, un prestataire qui a déjà conçu les sites de Libération et de Contexte. La priorité était de valoriser le récit long et les illustrations, photos comme dessins. Il fallait conserver l’aspect protéiforme de XXI. On a aussi regardé ce que faisaient le New Yorker, The Atlantic ou les sites de longs formats. Mais notre revue reste très spécifique, c’était difficile de trouver quelque chose de comparable, particulièrement en ce qui concerne la place offerte à l’illustration dessinée. Finalement, ils [Datagif] se sont énormément inspirés de la version imprimée, avec réussite je trouve.

Quelle offre de contenu comptez-vous proposer sur votre site ?

Chaque début de semaine est marqué par la publication d’un grand papier, souvent sous forme de feuilleton pour rendre la lecture en ligne plus fluide. Suivent sur le même thème, une interview et un portfolio, puis les « coulisses » et nos conseils de lecture. C’est donc un dossier ou un univers que nous proposons chaque semaine. Un journaliste enquêteur nous a également rejoints, ce qui fait que nous sommes désormais une petite équipe de quatre personnes.

Comment assurez-vous la complémentarité éditoriale avec la version imprimée trimestrielle ?

Le web nous permet de publier d’abord en ligne les articles, d’être beaucoup plus réactifs. Auparavant, il pouvait s’écouler huit mois entre la commande d’un papier et sa publication. Même si on ne couvre pas l’actualité, c’est très long.

Le grand article que nous publions chaque semaine sur le site peut ensuite être repris dans la revue s’il participe au chemin de fer, dans un respect de l’équilibre de nos cinq grandes thématiques [Géographies, Pouvoirs, Écosystèmes, Algorithmes et Aventures, ndlr]. Il y a aussi des contenus exclusivement web. Et, inversement, tout ne sera pas mis en ligne au préalable. Certains contenus ne seront même jamais publiés sur le site. La version imprimée va continuer parce qu’elle est belle et agréable à lire pour du long format. Finalement, le site va toucher plus de monde, mais la revue reste le pivot.

Est-ce une volonté de votre part d’investir davantage dans le journalisme d’investigation ?

Tout à fait, c’est une volonté de notre repreneur Indigo, propriétaire de quatre lettres d’information professionnelles qui relèvent plus de l’enquête. L’enquête, c’est une manière de faire parler de nous, de sortir des infos tout en respectant qui nous sommes à XXI, c’est-à-dire de bons « raconteurs » d’histoires. On tient à garder des papiers qui ne sont pas des scoops, on ne peut pas faire que de l’enquête.

Vous venez justement de signer, en partenariat avec Complément d’enquête, une enquête sur les fraudes de certains fournisseurs alternatifs d’énergies. Est-ce une démarche collaborative que vous souhaitez développer à l’avenir ?

On ne l’a fait qu’une fois pour le moment, le site n’existe que depuis le 19 février. C’est quelque chose de positif pour nous. D’abord parce que cette enquête est une histoire intéressante qui concerne tout le monde, puisque cela met en cause l’argent du contribuable. Donc oui, on souhaite le réitérer. Pour l’instant, il n’y a rien de prévu mais il y a des négociations menées par notre journaliste chef d’enquête. En attendant, nous avons lancé nos propres enquêtes.

Est-ce que ces récentes évolutions éditoriales correspondent aussi à un souhait de vos lecteurs ?

J’ai fait une enquête auprès de nos lecteurs [menée il y a plus d’un an, avant la reprise par Indigo, auprès de 600 lecteurs de la revue, ndlr]. Ils cherchent non pas à se divertir ou à s'évader, mais à comprendre le monde qui les entoure sans se déprimer. Il ne faut donc pas simplement faire un état des lieux dramatique, figé dans le passé, qui place les lecteurs au pied du mur. Il faut des articles dynamiques qui racontent des choses qu’on ne sait pas encore, dans un esprit défricheur.

Propos recueillis par Christian Mouly

Accord Le Monde – OpenAI : une si bonne nouvelle pour la presse? 

Impossible de passer à côté. Mercredi 13 mars, Le Monde a annoncé avoir conclu un accord avec OpenAI, le premier pour un éditeur français, quasiment dans le même temps que le quotidien espagnol El País et le groupe Prisma Media. « L’accord est historique », affirme un observateur des médias. Mais dans le même temps, d’autres s’en inquiètent. Pourquoi ? Le partenariat serait catastrophique pour les « petits » éditeurs. « Tout le monde bosse dur en commun et à la fin c’est Le Monde qui rafle le magot en solo », grince sur X (ex-Twitter) Julien Cadot, chef des opérations du groupe Humanoid, éditeur de Numerama.

🤝Que dit l’accord ? À peu de chose près, il est identique à celui qu’Axel Springer a signé en décembre 2023 avec OpenAI. Le contrat s’étend sur plusieurs années et le montant reste secret. Pour se faire une idée, le groupe allemand devrait toucher des dizaines de millions d’euros par an, rapportait le Financial Times. Le Monde précise de son côté que l’accord va « consolider [son] modèle économique ».

Pour le reste, ChatGPT pourra baser ses réponses sur les articles de l’éditeur. L’IA devra en revanche citer la production en question, en y mettant un lien et le logo du Monde. Et ce point est important : ChatGPT devra mentionner ses sources. La transparence est donc au cœur de l’accord, alors que cette question (ainsi que celle du pillage des ressources) est centrale dans les interrogations des médias face aux IA génératives.

Pourquoi l’accord est intéressant… Alors que le New York Times a ouvert une bataille juridique contre OpenAI, Le Monde prend le parti de négocier avec la firme américaine et d’accompagner « une vague annoncée comme plus imposante encore que celle du numérique », selon l’éditeur français.

Et comme c’est le premier, d’autres médias pourraient suivre : « Stratégiquement, les éditeurs sont en position de force. Si les IA veulent produire des contenus fiables, elles sont obligées d’avoir des sources de confiance. Puis au-delà de l’entraînement des modèles, il faut mettre à jour les réponses. La presse peut être là pour ça. On a encore plus besoin de la presse et des journalistes », analyse un observateur de l’univers des médias.

De son côté, Le Monde estime que cet accord sera bénéfique à tous : « Avec cette première signature, il sera plus difficile pour les autres plateformes d’IA d’esquiver ou de refuser toute négociation. »

…et pourquoi il l’est moins : Ce dernier point est contesté. En cause : la crainte que d’autres éditeurs soient mis de côté, notamment ceux « n’ayant pas la taille critique pour bénéficier de cette nouvelle manne financière et technologique », écrit sur X Guillaume Ledit, directeur éditorial du Studio l’ADN. « Ce partenariat risque d'imposer des bases de négociation communes à tous, or, tous les éditeurs et agences n'ont pas nécessairement les mêmes intérêts, ni les mêmes exigences », explique Julien Guinot-Delery, avocat associé chez Gide auprès des Echos. Déjà lors des tractations pour les droits voisins, le groupe français avait fait cavalier seul fin 2020 pour trouver un accord avec Google, en dehors des discussions menées par l’Alliance de la presse d’information générale. Nul doute que l’alliance va se presser pour ouvrir des négociations collectives.

Écrit par Thibault Linard
  • Le Financial Times investit 30 millions d’euros dans Charter, une société de médias innovante

Financial Times Ventures, la nouvelle branche d’investissement du groupe Financial Time, s’intéresse aux sociétés émergentes dans l’industrie médiatique. Elle investit dans Charter, une société de médias spécialisée dans l’analyse de l’avenir du marché du travail. Initialement conçue sous forme de newsletter en 2020, elle a été fondée par Kevin Delaney, ancien rédacteur en chef du Wall Street Journal et co-fondateur de Quartz. Le bras de capital-risque du Financial Times amène le groupe à s'imposer sur la sphère des médias florissants. « Cela permettra d’aider les entreprises naissantes à prospérer auprès d’eux », affirme Alexandra Calinikos, directrice du développement et de la stratégie du quotidien économique. « L’investissement du Financial Times fait partie d’une levée de fonds de plus d’un million de dollars que Charter ajoutera à son financement de démarrage de 3 millions de dollars », a déclaré Kevin Delaney.

  • Disney révolutionne l’Industrie du streaming indien

Disney et Reliance s’unissent pour offrir au public indien un catalogue de chaînes de TV et de divertissement. Cette fusion avec le groupe local Reliance permettra à Disney de s’emparer de 85% du marché.

Avec une valeur économique de 8,5 milliards de dollars, l’entité fusionnée rassemblera plus de 750 millions de téléspectateurs en Inde et 200 millions de personnes ciblées issues de la diaspora. Disney offre 120 chaînes télévisées et deux services de streaming. Parmi ces chaînes, Viacom18, contrôlée à 47% par Reliance, détient 40 chaînes notamment Comedy Central, Nickelodeon et MTV. Autrefois en concurrence, Disney et Reliance ont rivalisé pour obtenir les droits de diffusion de l’Indian Premier League, le championnat de cricket qui génère un chiffre d’affaires de 6,2 milliards de dollars. Les deux entreprises prévoient de finaliser la fusion vers mars 2025, une fois qu’elle aura été approuvée par les autorités compétentes.

  • Le New York Times entend amplifier son application Cooking avec 100 recettes prévues par mois

En temps de pandémie, l’application Cooking du New York Times a prospéré, malgré les défis du confinement. Après trois ans, elle a pu fidéliser de nombreux nouveaux utilisateurs et les a encouragés à revenir très souvent sur l’application, affirme le Times. En témoignent les chiffres : en quatre ans, le nombre d’abonnés a triplé. Pour soutenir la rubrique Cooking, « les vidéos de recettes du journal ont été mises en avant en 2018 », rapporte le Times à Business Insider. L’effectif de la rubrique a par conséquent doublé. Le service Cooking, dont le rôle a été fondamental dans le triomphe numérique du New York Times, sera davantage développé par le média. Dans ce projet d’extension de l’application, l’attention sera portée sur les cuisiniers à domicile de tous les jours. Les newsletters et vidéos postées sur les réseaux sociaux sont par ailleurs une vitrine importante de la rubrique. L’entreprise prévoit 100 nouvelles recettes par mois, notamment de plats simples et rapides, ce qui représente une augmentation d’environ 40% par rapport à 2023.

Écrit par Khadidiatou Goro

Infographie réalisée par Josué Toubin-Perre

Et pour finir…

D’un petit fait-divers à un jeu vidéo ! Le 20 février dernier, un cheval s’est échappé à Philadelphie, dans l’est des Etats-Unis, sur la route 95. Le journal local The Inquirer a eu l’idée de créer un petit jeu vidéo à partir de l’histoire. Le but ? Collecter des petits seaux en sautant et éviter des plots, pour avancer le plus loin possible. Datagif en a parlé dans une récente newsletter, et l’idée est géniale ! A tester ici !