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Mémo, le média qui parle de nos aînés sur Youtube

En cette période de fêtes, la Media'tech vous invite à écouter la parole de nos aînés à travers le média Mémo, fondé sur Youtube par Marion Thorin. Et comme nos aînés aiment parler météo, c’est bien connu, on fait aussi un point sur la façon dont les médias articulent météo et climat. Virage à 360° ensuite pour parler des conséquences de l’IA sur l’OSINT et des normes JTI et C2PA, deux termes barbares, on vous l’accorde, mais qui permettent de rendre plus transparents les médias. Et pour bien finir l’année, les trois recos de la team Media’tech !

L’édito

Comment bien parler des enfants dans les médias ? Le 9 décembre, l’idée de cet édito est déjà dans nos rouages, à la Média’Tech, quand France Info révèle qu’un éducateur de l’Aide sociale à l’enfance a tondu un jeune garçon pour l’humilier, en février 2025. Une affaire de maltraitance infantile qui vient s’ajouter à celle de Bétharram et à celle des violences sexuelles dans le périscolaire parisien. Quel lien entre médias et violences contre les enfants, direz-vous ? Pourtant, ce lien est plus important qu’on ne pense. Comme toute violence, ces maltraitances sont le fruit d’une domination, celle des adultes sur les enfants (l’infantisme), dont les médias sont un des multiples relais. Deux écueils médiatiques et les initiatives qui tentent de les résoudre méritent à nos yeux d’être soulevés.

Le premier problème réside dans le traitement médiatique des violences contre les enfants. Dans beaucoup de médias, celles-ci sont traitées sous l’angle du fait-divers, dans les rubriques société ou police-justice, ce qui occulte leur caractère systémique. Pour éviter cela, Médiapart et Libération ont créé des rubriques dédiées à ce sujet, « Enfances » pour le premier et « Maltraitances infantiles » pour le second. Une façon de ne pas envisager ces violences comme des cas isolés et de souligner l’ampleur et le caractère sociétal du phénomène.

Le deuxième écueil porte sur la place des mineurs dans les médias. Les contenus destinés aux enfants se sont multipliés ces dernières années, les médias cherchant à élargir leur audience. Brut, pourtant déjà tourné vers les jeunes, a lancé Brut Kids, tandis que côté radio, Radio France a créé Mon petit France Inter. Mais pour que le regard sur les enfants change, il faut que les médias généralistes s’intéressent à eux et leur donnent la parole. Car aujourd’hui encore, les enfants demeurent cantonnés au statut de victime dans les récits médiatiques. Or cela les enferme dans un narratif de domination qui leur ôte toute agentivité… et participe du continuum de violence exercée contre eux. La boucle est bouclée.

Au menu aujourd’hui…

  • Une interview de Marion Thorin, et de son média Mémo qui donne la parole aux plus âgés

  • L'infographie : Médias et climat, quels liens dans les médias ?

  • 1,2,3 IA : Quand l’intelligence artificielle vient bousculer les techniques d’OSINT

  • Le décryptage : JTI et C2PA, késako ?

  • Les recos : Arte, AFP, The Pudding

Parler de nos aînés sur Youtube : lorsque le troisième âge est mis en lumière

Depuis bientôt un an, Marion Thorin tâche de donner la parole aux personnes âgées sur Youtube. À travers des interviews et des reportages, la journaliste retrace la mémoire de nos aînés.

Comment t’es venue l’idée de parler des aînés dans un média ?

C’est mon grand-père qui m’a, sans le savoir, donné cette idée. Quand il me racontait des histoires de son enfance, je sentais qu’il y avait beaucoup d’émotions et beaucoup de pudeur aussi. Lui avait la pudeur de nous les raconter et nous, ses petits-enfants, on avait de la pudeur de poser des questions. J’ai eu cette idée de faire l’interview de mon grand-père. Après, j’ai pensé à faire l’interview de tous les grands-pères et de toutes les grands-mères. Le lien avec les grands-parents est très fort. C’est une relation particulière qui est incomparable. Et surtout j’entendais beaucoup de regrets dans la bouche des gens qui me disaient « j’aurais tellement aimé en savoir plus, maintenant il est trop tard ». Ça répondait un peu à tout ça.

Pourquoi avoir choisi une plateforme comme Youtube ?

J’ai choisi Youtube parce que j’aime beaucoup cette plateforme. J’ai travaillé sur Youtube avant de créer Mémo. J’aime le format long, le format où on prend le temps. Les personnes âgées, elles aiment parler, elles ont tellement de choses à dire. J’avais envie de poser la caméra et de les écouter. C’était la plateforme idéale.

L’idée c’était aussi de faire écouter aux plus jeunes l’histoire des plus vieux. Mais aussi de faire découvrir un univers, cette plateforme, aux plus anciens. Je suis hyper contente de leur montrer ça. Surtout ils ont une autre vision des réseaux sociaux. C’est normal, ils ne connaissent pas. Je leur montre ce que je fais, je leur explique que je fais des vidéos longues, je prends le temps, je fais en sorte que ce soit de belles images.

Comment trouves-tu les personnes que tu souhaites interviewer si elles ne sont pas forcément sur Internet et comment choisis-tu tes sujets d’interview ?

Pour ce qui est du choix du sujet, ça dépend vraiment, ça dépend de la personne. Je fais toujours une pré-interview avant pour comprendre un petit peu leur vie. C’est important pour que je sache quel point aborder et parfois je n’ai que des grands thèmes. Mais je sais que je dois aller chercher là-dedans. C’est pour ça que des fois ça prend plus de temps parce qu’il faut que j’arrive à creuser et à trouver où est l’histoire intéressante. C’est en amont mais c’est aussi sur place. 

Maintenant que Mémo existe, ça peut passer par le bouche à oreille, dans le sens où les gens me contactent pour me parler d’une histoire. Mais les premiers, puisqu’avant que Mémo existe il fallait bien que je les trouve, je les ai trouvés par des articles. Il y a un monsieur âgé de 100 ans qui venait de recevoir la légion d’honneur et ça m’a fait tilt. Je trouve ça fou, j'ai eu envie d’aller le rencontrer. Et donc j’ai pris le train et je me suis dit allez c’est parti. Et c’était l’une de mes premières interviews.

Comment est-ce que tu organises le fonctionnement de Mémo ?

Au début, je m'étais mis une certaine exigence. J’avais appris, lorsque je travaillais à Legend, d’être très stricte sur la quantité qu’on poste, comment on poste etc. J’avais un peu cet état d’esprit là, de cette exigence de poster, poster, poster. Avant je travaillais pour d’autres médias à côté de Mémo. C’est là que je me suis dit stop. J’ai pas du tout envie de faire ce média pour ça. J’ai envie de faire ce média parce que j’aime chaque vidéo que je poste, j’en suis hyper fière. J’ai eu ce recul là et maintenant je le fais quand j’ai enfin fini une belle vidéo dont je suis fière, je la poste. J’ai quand même un objectif d’un post par mois. Ça c’est mon nouvel objectif.

Est-ce que ça a été difficile de créer Mémo ?

Ça a été hyper dur parce que quand on démarre de zéro, c’est très compliqué. Ça l’est toujours aujourd’hui parce qu’il y a tellement de choses. Mon avantage c’est ma ligne édito qui est très précise. C’est-à-dire que quand les gens s'abonnent, ils savent exactement pourquoi. Le format est différent, il y a des fois où je fais des interviews récemment j’ai plutôt fait des reportages. J’ai eu la chance d’être entouré de mes amis qui, quand j’ai lancé ce projet, m’ont beaucoup aidé.

Est-ce que tu es seule sur ce projet ?

Je suis toute seule à travailler sur ce média mais j’ai des gens qui m’aident assez ponctuellement. J’ai de la chance d’être entourée de personnes travaillant dans l’audiovisuel donc des réalisateurs, des monteurs, des directrices artistiques etc. Mais aujourd’hui sur Mémo, je travaille seule sur le sujet. Quand j’ai besoin d’aide, pour les tournages ou pour les ajustements de montage, là je demande de l’aide bien sûr.

Quand l’intelligence artificielle vient bousculer les techniques d’OSINT

Les contenus fabriqués par l’IA toujours plus réalistes : un nouveau défi pour les journalistes OSINT

Comment vérifier ce qui est « réel » dans un monde où la réalité elle-même peut être fabriquée ? Les grands modèles linguistiques (LLM) - tels que ChatGPT (OpenAI)- et les modèles de génération de vidéos tels que Veo 3 (Google) et Sora 2 (OpenAI) sont en train de remodeler les techniques d'investigation à partir de sources ouvertes, également appelées OSINT. Ces outils facilitent l'ajout, la suppression ou la modification d'objets, de personnes, de conditions météorologiques ou de détails contextuels dans des séquences par ailleurs authentiques, bouleversant les pratiques de l’OSINT.

Géolocalisation, datation, reproductibilité… les techniques de fact-checking de l’OSINT mises à mal par l’IA

Dans l’article “AI is undermining OSINT’s core assumptions. Here’s how journalists should adapt”, publié le 12 décembre par le Reuters Institute, des journalistes reviennent sur deux postulats majeurs de l’OSINT remis en cause par l’IA.

L’OSINT s’appuie en grande partie sur la géolocalisation et la datation d’une vidéo ou d’une photo afin de révéler ou de vérifier une information. L'IA est désormais capable de synthétiser un très grand nombre de données et peut offrir des réponses plus rapides que les différentes étapes de l'OSINT. Le piège est grand car les LLM ne « vérifient pas les faits » : l’IA propose la réponse la plus probable statistiquement plutôt que d'évaluer la vérité factuelle d’une affirmation. Cela peut entraîner des « hallucinations ». Ensuite, la crédibilité de l’information apportée par l’OSINT repose notamment sur la traçabilité de l’enquête et sa reproductibilité. Toute personne utilisant les mêmes informations publiques doit pouvoir vérifier de manière indépendante une affirmation. L’IA et le manque inhérent de traçabilité qu’elle induit viennent remettre en cause ce paradigme.

L’IA encore moins fiable dans les pays du Sud

Ces incohérences affectent en particulier les journalistes des pays du Sud qui voudraient utiliser l’IA pour produire ou confirmer une information. Les LLM disposent souvent d’un nombre de données moins important sur les pays du Sud, ce qui réduit encore davantage la fiabilité des modèles d'IA. Cette inégalité renforce les inégalités existantes dans l'écosystème de l’investigation entre journalistes des pays du Nord et celleux du Sud. Ce problème linguistique n'est pas seulement technique, mais aussi épistémologique, car il détermine ce qui peut être connu, révélé et considéré comme crédible.

JTI, C2PA… ces outils pour redonner de la confiance dans les médias

Le 19 novembre dernier, face à des lecteurs de la Voix du Nord, les déclarations d’Emmanuel Macron ont fait du bruit dans le monde médiatique. Pour cause, il évoquait un projet de “label” porté par des professionnels des médias. Cette initiative s’inscrit dans un contexte marqué par la multiplication des fausses informations, notamment après les révélations de Reporters sans frontières (RSF) sur 85 faux sites d'information russes. À quelques mois des municipales, la question de la transparence des médias est plus que jamais d'actualité.

Pourtant, ce défi n'est pas nouveau. Depuis plusieurs années, acteurs des médias, géants du numérique et associations cherchent des solutions pour restaurer la confiance du public.

Rendre visible le fonctionnement d’un média avec le JTI

Comment assurer la soutenabilité des médias lorsque de nouveaux acteurs du web font le lien entre contenu et audience ? C’est à cette question que la norme Journalism Trust Initiative (JTI) a essayé de répondre début 2018. Pendant 18 mois, médias, géants du numérique, fédération de journalistes et même associations de consommateurs ont déterminé plus de 130 critères de confiance auxquels un média doit répondre pour se voir attribuer cette norme. Mais attention, pas question de s’intéresser au contenu en lui-même, JTI s’intéresse au fonctionnement interne du média. Par exemple, s’il y a des mécanismes de correction ou si le média présente une charte éditoriale. 

À ce jour, 132 médias ont reçu la certification. Pour y prétendre, il faut suivre une procédure en 3 étapes : la découverte des 130 critères, la publication d’un rapport de transparence fondé sur ces critères, puis la réalisation d’un audit d’un cabinet externe et indépendant. Renouvelable tous les deux ans, cette certification est “une solution facile, surtout si l’on est déjà un média fiable, cela peut être rapide”, estime Benjamin Sabbah, directeur de JTI.

C2PA, le “filigrane” numérique de l’information

Si la JTI se concentre sur la transparence des processus, la Coalition for Content Provenance and Authenticity (C2PA), créée en 2021, propose quant à elle une approche technologique. Cette norme permet de déterminer l'origine et les modifications apportées à un contenu journalistique. Sa méthode : marquer les métadonnées d’un document dès sa création, pour que chaque modification puisse être identifiée. Et si l’on veut en avoir le cœur net, il suffit de le comparer au document originel. Une utilité comparable aux négatifs des appareils photos argentiques.

Depuis septembre dernier, France 2 utilise ce procédé pour le journal de 13h et 20h. En marquant l’intégralité du JT d’un même tag, les téléspectateurs peuvent attester de son authenticité sur une page dédiée. Plus tard, Romuald Rat, directeur délégué Techlab-ia à France TV, confie vouloir marquer images par images, sans pour autant détailler le lieu, l’heure du tournage, etc. Pourquoi ? Car certains reportages abordent des sujets sensibles, que cela soit des enquêtes ou dans des zones de conflit, et donc nécessitent de redoubler d’attention sur la sécurité des sources et journalistes.

Quand informer devient survivre

Que reste-t-il du journalisme quand tout s'effondre ? Dans Gaza apporte une réponse aussi brute que nécessaire. Le documentaire d’Hélène Lam Trong, diffusé sur ARTE le 3 décembre, nous plonge pendant 1h11 dans le quotidien des correspondants de l’AFP restés à Gaza du 7 octobre 2023 jusqu’à leur expatriation, 203 jours plus tard. À travers leurs rushes et leurs photos, ce sont des images brutes, souvent inédites, parfois jamais reprises par les médias étrangers, qui ressurgissent. Et surtout, celles et ceux qui les ont prises prennent la parole. Ici, les journalistes ne sont plus hors champ. Ils racontent le contexte, l’instant, le doute. Ce reportage interroge sur la fabrique de l’information en temps de guerre.

On a été marqués par cette réalité : couvrir un conflit dans son propre pays, craindre pour ses proches, travailler en continu sous les bombes, être accusé de mentir, voire d’être complice. Quand Israël ferme Gaza aux journalistes étrangers, toute la responsabilité du récit repose sur ceux qui sont restés. Jusqu’à l’épuisement, jusqu’au renoncement pour certains. Un film bouleversant, mais essentiel, qui redonne du sens, du contexte et de l’humanité aux images. 

L’AFP nous apprend à traquer l’IA

On a testé le nouveau cours de l’AFP pour détecter l’IA, et c’est le genre de formation qu’on aurait aimé avoir plus tôt. Gratuit et accessible en ligne depuis le 20 novembre, le module d’1h15 nous plonge dans l’univers des contenus générés par intelligence artificielle. Vidéos pédagogiques, cas d’étude, quiz, exercices pratiques et témoignages d’experts : tout est pensé pour comprendre l’IA, repérer la désinformation et vérifier les contenus avant qu’ils ne se propagent.

On a particulièrement apprécié la clarté des explications sur les différents types d’IA et le PDF mémo à télécharger à la fin, pratique pour garder les conseils sous la main. C’est rare de trouver un module qui ne se contente pas de théoriser, mais qui met réellement les journalistes en situation de détection. Développé avec le soutien de Google News Initiative et disponible en quatre langues, ce 17ᵉ module certifiant de Digital Courses prouve que former les professionnels des médias à l’ère de l’IA peut être interactif, utile et fun.

Voir, cliquer, comprendre : The Pudding réinvente l’info

Ici, les graphiques ne décorent pas l’info : ils la racontent. C’est toute la promesse de The Pudding . Fondé en 2017, ce média numérique américain mêle storytelling et journalisme de données, avec un focus sur le visuel : graphiques dynamiques, visualisations cliquables, images qui apparaissent au fil du scroll. Le résultat ? Un format léger, attractif, qui rend l’info accessible et engageante, à l’heure où le temps moyen passé sur un article chute et où la fatigue informationnelle grimpe.

On a aimé leur approche : pas de course à l’actu chaude, mais des sujets originaux et décryptés avec créativité, souvent autour de questions sociales. Exemple parlant : 30 minutes with a stranger, un article qui s’appuie sur une étude menée auprès de 1 500 inconnus invités à discuter sans se connaître. The Pudding transforme ces conversations en une expérience interactive, qui montre comment quelques minutes d’échange peuvent suffire à créer du lien.

Avec une petite équipe de neuf journalistes travaillant en collectif, The Pudding privilégie le design et l’interaction pour mettre en lumière des débats et des données, et non seulement relayer l’info brute. En 2023, leur travail a été récompensé par un prix du journalisme en ligne et franchement, c’est mérité. Si vous n’y êtes jamais allé, testez : c’est vraiment chouette et inspirant.