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ProteÌger les scientifiques, un nouvel enjeu pour les journalistes đ©âđŹ đĄïž
On vous parle aussi de la messagerie seÌcuriseÌe Signal, de techniques d'OSINT pour raconter la guerre aÌ Gaza, en passant par la newsletter Rembobine, veÌritable caisse de reÌsonance de l'enqueÌte journalistique.


Sources anonymes, conversations chiffrĂ©es, coffres-forts numĂ©riques⊠autant de prĂ©cautions qui font partie du travail des journalistes dâinvestigation. ProtĂ©ger ses interlocuteurs (et soi-mĂȘme !) devient une nĂ©cessitĂ© quand on travaille sur des mafias, des rĂ©gimes autoritaires⊠et sur la recherche amĂ©ricaine ?
Arrestations de chercheurs internationaux, silence mĂ©diatique imposĂ©, coupes budgĂ©taires drastiques⊠Face aux attaques de lâadministration Trump, les scientifiques qui travaillent aux Ătats-Unis - ou qui sây rendent - craignent des reprĂ©sailles sâils sâexpriment. Les sources des journalistes scientifiques deviennent, Ă leur tour, sensibles.
Impossible de transmettre ces tĂ©moignages qui affluent sans les compromettre, mais impensable de ne pas informer. Câest le dilemme quâexprimait LĂ©a Bello, journaliste scientifique au Monde et membre de STUP MEDIA, un collectif de journalistes web. La profession saura-t-elle sây adapter ?
La question sâest invitĂ©e au colloque « Sciences & MĂ©dias » de lâassociation des journalistes scientifiques (AJSPI). La vice-prĂ©sidente de son Ă©quivalent amĂ©ricain, la NASW, Shraddha Chakradhar, y tĂ©moignait des bouleversements en cours. Pour garder contact, les rĂ©dactions ont mis en place des canaux alternatifs avec leurs sources fĂ©dĂ©rales.
Autre piste : lâentraide, Ă lâimage du travail de Forbidden Stories. Ce collectif de journalistes mĂšne Ă terme les enquĂȘtes de confrĂšres et consĆurs assassinĂ©s, et son rĂ©seau SafeBox met Ă lâabri le travail de ceux qui sont menacĂ©s.
La collaboration entre scientifiques et collectifs de journalistes nâest pas nouvelle. Mais Ă lâheure oĂč partout dans le monde, la libertĂ© acadĂ©mique accompagne la libertĂ© de la presse dans son recul, câest pour leur propre survie que devront collaborer scientifiques et journalistes.

Journaliste pigiste, CĂ©cile Massin est cofondatrice de Rembobine, un mĂ©dia qui traque les effets des enquĂȘtes un an aprĂšs leur publication. Son objectif : mettre en lumiĂšre les consĂ©quences du journalisme sur nos sociĂ©tĂ©s.
Rembobine se prĂ©sente comme un mĂ©dia qui lutte contre lâobsolescence de lâinfo. En quoi le fait de parler dâimpact sâinscrit dans cette dĂ©marche ?
Rembobine est un mĂ©dia indĂ©pendant lancĂ© en octobre 2022 qui propose de mettre la question des consĂ©quences du journalisme au cĆur de la discussion. ConcrĂštement, on analyse les effets quâune enquĂȘte peut avoir un an aprĂšs sa publication, afin de la faire dĂ©couvrir ou redĂ©couvrir Ă nos lecteurs, mais aussi et surtout de sâinterroger sur ce qui a Ă©voluĂ© un an aprĂšs. Câest une façon de ne pas laisser les enquĂȘtes tomber dans lâoubli - et donc de lutter contre l'obsolescence de lâinfo - autant que de mettre en avant lâimpact que le journalisme peut avoir sur la sociĂ©tĂ©.
Comment mesurez-vous lâimpact dâune enquĂȘte ?
On fait gĂ©nĂ©ralement des recherches dans la presse, dans les bases de donnĂ©es publiques, sur les rĂ©seaux sociaux ou directement auprĂšs des journalistes que lâon rencontre lors de nos interviews. Ensuite, nous classons lâimpact en diffĂ©rentes catĂ©gories en suivant la mĂ©thodologie dĂ©veloppĂ©e par Disclose, qui repose sur quatre grands volets : institutionnel, mĂ©diatique, judiciaire, public ou citoyen.
Pour vous donner un exemple concret, dans notre derniĂšre newsletter, on revient sur une enquĂȘte de Public Eye, une ONG suisse, Ă©crite en collaboration avec le RĂ©seau international dâaction pour lâalimentation infantile (IBFAN). Ils ont rĂ©vĂ©lĂ© que certains produits pour bĂ©bĂ©s de la marque NestlĂ© contiennent du sucre dans des pays en dĂ©veloppement, comme lâInde. Mais ils en sont exempts dans des pays dĂ©veloppĂ©s comme la Suisse, oĂč se trouve le siĂšge de lâentreprise. Cette enquĂȘte a eu beaucoup dâimpact. Ă la suite de sa publication, certains pays ont par exemple dĂ©cidĂ© de vĂ©rifier la conformitĂ© des produits NestlĂ© Ă leur lĂ©gislation nationale. Lâaffaire a Ă©galement fait grand bruit dans les mĂ©dias indiens et sur les rĂ©seaux sociaux. En Inde, lâaction de NestlĂ© a chutĂ© de 5 % en une journĂ©e, contraignant le gĂ©ant Ă revoir sa gamme de produits.
Ă lâinverse, il y a des sujets sur lesquels Ă©valuer les rĂ©percussions est plus difficile. Par exemple, jâai voulu me pencher il y a quelques mois sur une enquĂȘte des Jours qui portait sur les violences dans le milieu carcĂ©ral. Rapidement, je me suis rendu compte que, mĂȘme un an aprĂšs, les retombĂ©es restaient trĂšs limitĂ©es. Certains enjeux ne peuvent pas bouger en un an : ils nĂ©cessitent du temps, une mobilisation collective et une sĂ©rie dâactions dont les enquĂȘtes journalistiques ne sont quâun maillon.
Pourquoi cette analyse est importante pour vous ?
Aujourdâhui, la confiance sâĂ©tiole entre journalistes et citoyens, et on entend rĂ©guliĂšrement dire que le journalisme ne sert Ă rien. Notre objectif est de montrer quâau contraire, une enquĂȘte peut faire avancer le dĂ©bat public en ayant un poids concret sur diffĂ©rents aspects de la sociĂ©tĂ©. Pour cela, il faut donc rĂ©ussir Ă mesurer ses consĂ©quences. Le problĂšme, câest quâaprĂšs la publication dâune enquĂȘte, on entend gĂ©nĂ©ralement peu parler de sa portĂ©e. DâoĂč notre envie, chez Rembobine, de mettre la question de lâimpact en avant. Câest dâailleurs pour cela que jâai dĂ©cidĂ© de rejoindre ce mĂ©dia : pour prendre le contre-pied de la fatigue informationnelle, qui nous touche parfois mĂȘme en tant que journaliste. Cela permet de sâintĂ©resser Ă un journalisme qui contribue aux dĂ©bats publics, qui pose des questions de sociĂ©tĂ© et qui, in fine, fait bouger les lignes.
Revenir sur des enquĂȘtes, câest une façon de nourrir la rĂ©flexion collective, en particulier sur des sujets complexes, qui prennent du temps Ă Ă©voluer.
Pour le moment, nous revenons sur des enquĂȘtes parues un an auparavant, mais on pourrait imaginer le faire avec dâautres temporalitĂ©s, par exemple dix ans plus tard. Quelle que soit lâĂ©chelle temporelle, nous sommes convaincus que revenir sur ces enquĂȘtes permet de nourrir la rĂ©flexion collective sur des sujets complexes qui prennent parfois du temps Ă Ă©voluer. Câest aussi une façon de contribuer Ă renforcer le lien entre journalistes et lecteurs, en leur montrant comment les enquĂȘtes journalistiques peuvent impacter la sociĂ©tĂ© dans laquelle ils vivent.
Pour trouver un bon sujet, comment faites-vous ?
On effectue une veille d'information trĂšs rigoureuse pour repĂ©rer les enquĂȘtes qui nous paraissent intĂ©ressantes. Ensuite, on choisit collectivement lâenquĂȘte sur laquelle on revient.
On revient parfois sur des sujets incontournables, comme ce fut le cas en septembre 2023, lorsquâon a travaillĂ© sur les violences dans les crĂšches privĂ©es, Ă lâoccasion de la parution du livre Le Prix du Berceau, signĂ© par Mathieu PĂ©risse et DaphnĂ© Gastaldi. Lâouvrage avait suscitĂ© un vif retentissement Ă lâĂ©poque. CâĂ©tait un sujet dâun grand intĂ©rĂȘt public quâon a voulu remettre sous les projecteurs.
On a Ă©galement la volontĂ© de mettre en lumiĂšre des enquĂȘtes publiĂ©es par des mĂ©dias indĂ©pendants que nos lecteurs et lectrices pourraient avoir ratĂ©es. Il nous arrive de mettre en avant des enquĂȘtes publiĂ©es par le mĂ©dia belge MĂ©dor, qui adopte une approche particuliĂšre. Ce sont souvent des enquĂȘtes collaboratives, oĂč les lecteurs et lectrices sont invitĂ©s Ă participer activement.
Enfin, il y a aussi des questions de sensibilitĂ©. Certains sujets nous touchent davantage que d'autres. Ă titre personnel, les questions de justice sociale et environnementale sont des sujets qui me tiennent particuliĂšrement Ă cĆur.
Est-ce que vous avez dâautres projets en perspective ?
Oui ! Cette annĂ©e, nous avons Ă©tĂ© laurĂ©ats â en collaboration avec Disclose â dâun appel Ă projets du FPL, le Fonds pour une presse libre, qui soutient les mĂ©dias indĂ©pendants. Nous avons reçu un soutien de 17 000 euros, avec lequel nous dĂ©veloppons actuellement un livre blanc sur la question de l'impact dans le journalisme.
Lâobjectif de ce document est de montrer aux mĂ©dias lâintĂ©rĂȘt dâanalyser leur impact dans leur travail quotidien, ainsi que les bĂ©nĂ©fices que cela peut leur apporter, tant dans la relation avec leur lectorat que vis-Ă -vis de ceux qui les financent. Ă lâintĂ©rieur, nous dĂ©cryptons notamment les mĂ©thodes existantes pour mesurer les effets dâune enquĂȘte, ainsi que les façons possibles - pour les journalistes et les rĂ©dactions - de lâintĂ©grer Ă leur travail.
Ă terme, nous entendons offrir un accompagnement personnalisĂ© aux rĂ©dactions. L'idĂ©e est de faire de cette rĂ©flexion sur leurs consĂ©quences un levier stratĂ©gique qui renforce les liens avec les lecteurs et dĂ©montre lâutilitĂ© sociale du journalisme d'impact.





Quand le QR code ne suffit pas
Un pont entre papier et digital. Le Bangor Daily News, un journal amĂ©ricain, a expĂ©rimentĂ© lâintĂ©gration de QR codes dans sa version imprimĂ©e afin dâorienter les lecteurs vers le numĂ©rique. Ă la clĂ©, des contenus variĂ©s et enrichis : vidĂ©os, podcasts, infographies interactives⊠Le projet, menĂ© avec le soutien du Google News Initiative Innovation Challenge, visait Ă moderniser lâexpĂ©rience de lecture et Ă mesurer lâengagement du public.
Plusieurs mois de tests plus tard, les rĂ©sultats sont limitĂ©s. « TrĂšs peu de gens ont scannĂ© les QR codes », indique Nick Sambides, Ă©diteur au Bangor Daily News. Lâinitiative, bien quâinnovante, nâa pas rencontrĂ© lâadhĂ©sion espĂ©rĂ©e. LâĂ©quipe en tire cependant plusieurs enseignements : lâimportance de la pĂ©dagogie et du timing. Les QR codes seuls ne suffisent pas, il faut accompagner leur usage, expliquer leur utilitĂ© et leur fonctionnement. Ils ont aussi Ă©tĂ© lancĂ©s alors que le journal testait simultanĂ©ment dâautres projets, ce qui a affectĂ© la communication. « Il faut aller lĂ oĂč se trouvent les lecteurs, plutĂŽt que de leur demander de venir Ă nous », conclut Nick Sambides.
Newsreel, le Duolingo de lâinformation
« Dire adieu Ă lâarticle de 1 500 mots ». Câest le pari de Newsreel, une application dâactualitĂ© pensĂ©e pour les 18 â 30 ans. Chaque jour, trois sujets dâactualitĂ©, centrĂ©s sur la politique et les relations internationales, sont proposĂ©s sous forme de carrousels visuels et interactifs. Ă la fin de chaque lecture, des quiz permettent de tester ses connaissances, avec un systĂšme de « streaks » â une sĂ©rie de jours consĂ©cutifs dâutilisation â pour encourager la rĂ©gularitĂ©, façon Duolingo. Elle permet de crĂ©er une routine dâinformation simple, directe et ludique.
Lâobjectif : offrir une alternative Ă mi-chemin entre les mĂ©dias traditionnels et les rĂ©seaux sociaux comme Instagram et TikTok. FondĂ©e par Jack Brewster, ancien journaliste au Wall Street Journal et Ă Forbes, Newsreel vise Ă aider les jeunes adultes « curieux de lâactualitĂ© Ă commencer Ă avoir une relation avec les informations ». Lâappli est dĂ©jĂ en test sur plusieurs campus amĂ©ricains, dont Oberlin College (Ohio) et Penn State (Pennsylvanie).
Un nouveau format dédié à la Formule 1 signé ESPN
3, 2, 1⊠Lisez ! ESPN, la chaĂźne dâinformation sportive amĂ©ricaine revient sur 75 ans dâhistoire de la F1 avec un format interactif, visuel et innovant. Grands champions, types et caractĂ©ristiques des voitures, Ă©curies, innovations techniques⊠ce long format novateur mixe informations et visualisation.
Ici, pas de dĂ©filement classique. En accĂ©dant Ă lâarticle, on ne fait pas que lire, on monte Ă bord. Le parcours dĂ©bute avec une voiture qui avance sur le tracĂ© dâun circuit, jalonnĂ© dâĂ©tapes retraçant lâĂ©volution de la discipline depuis 1950 jusquâaux projections pour 2026. Chaque virage du circuit dĂ©voile une dĂ©cennie, un tournant technique ou une figure marquante de la F1. Les infographies, les images dâarchives, les animations, mais aussi les extraits sonores rythment la lecture, crĂ©ant une vĂ©ritable expĂ©rience immersive. Lâinterface, fluide et originale, bouscule les codes traditionnels de la narration web. Un format qui plaira sans aucun doute aux amateurs de F1, mais qui pourrait aussi sĂ©duire un public plus large, curieux dâexpĂ©riences numĂ©riques qui racontent autrement.
