🎂 Spéciale « 20 ans de YouTube »

De la première vidéo du fondateur de la plateforme « Me at the zoo », à « Baby Shark » qui est aujourd'hui la vidéo la plus vue de YouTube, il s'est écoulé 20 ans. Alors, dans cette édition spéciale, on revient avec des journalistes créateurs de contenus sur l'impact que YouTube a eu pour eux. On discute journalisme indépendant avec Benoit Le Corre, et on regarde ce que disaient les médias de YouTube à son lancement !

YouTube fĂȘte ses 20 ans ! Mais saviez-vous qu’à son lancement, la plateforme Ă©tait pensĂ©e comme un site de rencontres ? Ses crĂ©ateurs voulaient aider les cĂ©libataires Ă  trouver l’amour en vidĂ©o. Un projet vite abandonné  en seulement cinq jours, sans qu’aucune vidĂ©o ne soit publiĂ©e !

Qui, en 2005, aurait pariĂ© sur un tel succĂšs ? À l’époque, la presse considĂ©rait YouTube comme une curiositĂ© plutĂŽt qu’une rĂ©volution. Deux dĂ©cennies plus tard, la plateforme compte 2,5 milliards d’utilisateurs actifs et dĂ©passe l’audience de la tĂ©lĂ©vision en France. Bien plus qu’un simple catalogue de vidĂ©os, c’est un Ă©cosystĂšme en perpĂ©tuelle mutation, intĂ©grant des outils comme le fact-checking et les notes contextuelles.

Mais YouTube ne s’est pas contentĂ© de transformer notre façon de regarder des vidĂ©os : il a rebattu les cartes du journalisme. Il a changĂ© la carriĂšre de certains journalistes, favorisĂ© l’essor de mĂ©dias indĂ©pendants et redĂ©fini les codes de l’information. BenoĂźt Le Corre, invitĂ© de cette Ă©dition, en est l’illustration parfaite. Preuve de cette Ă©volution, mĂȘme des figures emblĂ©matiques du petit Ă©cran, comme Élise Lucet et Claire Chazal, s’invitent dĂ©sormais sur la plateforme


Du Monde à YouTube, le virage du journalisme indépendant pour Benoßt Le Corre

BenoĂźt Le Corre est journaliste depuis plus de 13 ans, il a travaillĂ© pour Brut, Le Monde ou encore Rue89. En dĂ©cembre 2024, il lance sa chaĂźne YouTube et sa premiĂšre vidĂ©o atteint les 600 000 vues. Pour La Media’Tech, il revient sur les coulisses de ce projet, sa vision du journalisme et ce que YouTube reprĂ©sente pour lui.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez appris que votre premiĂšre vidĂ©o avait Ă©tĂ© vue plus de 600 000 fois ?

J’étais trĂšs heureux, forcĂ©ment, c’était incroyable, mais aussi un peu surpris. En fait, je dis que c’est un heureux accident. J’ai publiĂ© la vidĂ©o de Jacques, l’homme statue, en mĂȘme temps qu’un reportage que j’ai rĂ©alisĂ© pour Camille Reporter. Il y a eu un effet boule de neige, en quelque sorte. Des gens de sa chaĂźne venaient voir ma vidĂ©o aprĂšs avoir vu notre collaboration. Et je pense que la vidĂ©o en tant que telle a provoquĂ© quelque chose. Elle a Ă©tĂ© trĂšs apprĂ©ciĂ©e, peut-ĂȘtre parce qu’elle rĂ©pond Ă  des questions qu’on se posait tous, ou parce qu’elle a provoquĂ© de l’émotion. Ou bien les deux.

Quand les gens ont su que c’était ma premiĂšre vidĂ©o, que je me lançais sur YouTube, ils ont eu envie d’aider. Et ça, c’est chouette. Cette bienveillance fait vraiment plaisir et je ne m'attendais pas forcĂ©ment Ă  ça sur les rĂ©seaux sociaux. Mais ça fait du bien de savoir que son contenu est apprĂ©ciĂ©, que les gens s’abonnent et en parlent Ă  d’autres. Je peux dire que j’ai plus confiance quant Ă  l’avenir grĂące Ă  ce succĂšs. Je suis trĂšs reconnaissant Ă  toutes les personnes qui ont regardĂ© la vidĂ©o et qui veulent me suivre parce que ça veut dire qu’il y a la place pour ce projet. C'est trĂšs rassurant.

Qu'est-ce qui vous a amené à vous lancer de maniÚre indépendante ?

Je cherchais cette indĂ©pendance que je ne trouvais pas dans les rĂ©dactions. J'ai adorĂ© mon temps passĂ© dans ces structures. Mais j'ai aussi ressenti beaucoup de frustration, notamment par manque de temps pour rĂ©aliser des sujets de tĂ©moignages. Que ce soit chez Brut ou au Monde, je ne pouvais pas toujours traiter les sujets que je voulais faire. Je manquais de libertĂ©. Plus que l’actualitĂ© du monde, c’est l’actualitĂ© des gens qui m’intĂ©resse. Je pense qu’on peut raconter une sociĂ©tĂ© Ă  travers des histoires des personnes qui la composent. Je veux parler de l’humain, crĂ©er de l’empathie et proposer un autre journalisme.

Donc je me suis dit que ce n’était pas d’une rĂ©daction dont j’avais besoin, mais de temps et d’indĂ©pendance. Alors j’ai pensĂ© Ă  un format YouTube. AprĂšs 13 ans de carriĂšre, je me sentais enfin prĂȘt Ă  prendre des dĂ©cisions Ă©ditoriales. Je me suis dit que c’était le moment. Pour rĂ©sumer, c'est vraiment une envie de libertĂ©, d'indĂ©pendance, de tester un nouveau ton et de pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Et puis YouTube me permet de tester des formats. Je suis journaliste, mais je n’ai pas peur de questionner la forme. Je pense que c’est un mĂ©tier qui Ă©volue constamment et j’aime Ă©voluer avec lui.

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Plus que l’actualitĂ© du monde, c’est l’actualitĂ© des gens qui m’intĂ©resse.

Benoit Le Corre, journaliste

Comment se lance-t-on sur YouTube ?

Il faut vraiment avoir un projet et savoir ce que tu veux faire. Il faut qu’il te plaise et ĂȘtre capable de travailler dessus pendant un petit bout de temps. L'honnĂȘtetĂ© dans la dĂ©marche et le plaisir de faire sont primordiaux et directement compris, voire apprĂ©ciĂ©s par les internautes. Ensuite, je dirais que le plus important c’est de produire, avec ses moyens mais sans se prĂ©cipiter au dĂ©but. Il faut pouvoir maintenir une certaine rĂ©gularitĂ© et avoir plusieurs idĂ©es de contenu en tĂȘte.

Ma premiĂšre vidĂ©o est sortie en dĂ©cembre 2024, mais je mĂ»ris le projet depuis plus d’un an. J’ai rĂ©flĂ©chi Ă  diffĂ©rentes idĂ©es, diffĂ©rents formats. J’ai dĂ©cidĂ© de commencer avec une sĂ©rie qui s’appelle « La vraie vie ». Ce sont des portraits - tĂ©moignages comme celui de Jacques. Je me suis dit que c’est celle qui parlerait le plus aux gens.

Et financiùrement, qu’est-ce que ça implique ?

Je pense que la premiĂšre difficultĂ©, c’est trouver un Ă©quilibre entre les revenus et les investissements. Sur YouTube, tu n’es pas rĂ©munĂ©rĂ© tout de suite. Ton contenu doit fonctionner pour toucher quelque chose. Il faut avoir en tĂȘte qu’au dĂ©but, il y aura peut-ĂȘtre plus de sorties que de rentrĂ©es d’argent. Je savais que je finirais un jour par rĂ©aliser soit un documentaire, soit un long format, donc j’ai investi dans du matĂ©riel vidĂ©o. C’était une chance pour moi, de ne pas avoir Ă  faire ces investissements au moment de lancer ma chaĂźne. Je pense que c’est plus compliquĂ© pour quelqu’un qui commence dans le mĂ©tier et qui n’a pas d’économies sur lesquelles se reposer, par exemple. YouTube, c’est un peu le far-west : tu n’as aucune garantie que ton projet fonctionne ou que tu vas pouvoir dĂ©velopper un modĂšle Ă©conomique rentable. C’est un pari sur l’avenir un peu flippant.

Justement, comment devient-on rentable sur YouTube ?

Ça prend du temps, il ne faut pas s’attendre Ă  avoir beaucoup de revenus dĂšs les premiĂšres vidĂ©os. Au dĂ©but, c’est surtout la publicitĂ© qui apporte la monĂ©tisation. On parle souvent du rapport Ă  la publicitĂ© des journalistes indĂ©pendants, mais je pense que ça ne doit pas ĂȘtre tabou et que ce n’est pas si diffĂ©rent que dans un mĂ©dia. Journal papier ou tĂ©lĂ©vision, il y a des encarts publicitaires. Et comme pour la plupart des mĂ©dias, je pense que ce serait ma principale source de revenus.

Je ne m'interdis pas non plus de faire des partenariats ou des placements de produit. Ce n’est pas quelque chose qui me dĂ©range, du moment que la marque correspond Ă  mes valeurs et qu’il n’y a pas d’impact sur la partie Ă©ditoriale. Je n’accepterais jamais de faire un reportage sur la SPA parce qu’elle me rĂ©munĂšre, par exemple. Mais je peux remercier un sponsor comme une marque de croquettes bio dans une vidĂ©o qui n’a aucun rapport. Je ne veux pas que ce qui m’apporte de l’argent devienne des conditions pour rĂ©aliser mon travail. C’est la limite que je ne dĂ©passerai pas.

Et puis je vais collaborer avec d’autres journalistes indĂ©pendants comme Camille Reporter ou Charles Villa, au moins au dĂ©but. Sans forcĂ©ment apparaĂźtre Ă  la camĂ©ra, je vais travailler avec eux plutĂŽt sur l’écriture et sur le travail d’enquĂȘte.

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Je ne veux pas que ce qui m’apporte de l’argent devienne des conditions pour rĂ©aliser mon travail. C’est la limite que je ne dĂ©passerai pas.

Benoit Le Corre, journaliste

Quel est votre rythme de production ?

Je vais diffuser deux vidĂ©os par mois. Il y aura un reportage et une vidĂ©o de rĂ©action. Être indĂ©pendant me permet de faire une espĂšce de service aprĂšs-vente que je n’avais jamais pu faire. ConcrĂštement, je retourne voir chaque personne dont j’ai fait le portrait pour lui montrer et filmer sa rĂ©action. Ça me permet de montrer autre chose du journalisme et de complĂ©ter la premiĂšre vidĂ©o. Et puis, trĂšs rĂ©guliĂšrement, je vais poster des contenus plus courts, sur Instagram et via les YouTube Shorts.

Mon emploi du temps peut se diviser en semaines. La premiĂšre c’est du calage, je cherche les interlocuteurs, les sujets. Je prends le temps. La deuxiĂšme est dĂ©diĂ©e au tournage et la troisiĂšme au montage. Et la quatriĂšme c’est du peaufinage, planifier les publications et le tournage/montage de la vidĂ©o de rĂ©action.

D’autres projets sont prĂ©vus pour la suite ?

Je vais terminer la sĂ©rie « La vraie vie » oĂč je raconte des histoires Ă  travers la vie des gens tout en interrogeant sur le mĂ©tier de journaliste. Je vais par exemple faire le portrait de JĂ©rĂ©mie, un homme alcoolique, ou encore d’un jeune trĂšs concernĂ© par la crise des agriculteurs. Je vais lancer d’autres formats comme des reportages ou des enquĂȘtes. MĂȘme si cela sera plus classique, je resterai dans la lignĂ©e de ce que je fais aujourd’hui : parler des gens. Et puis, j’ai des idĂ©es qui vont questionner, et oĂč je ne sais pas si ça va fonctionner. Par exemple, je voudrais raconter l’histoire de chats et de chiens en imaginant une vidĂ©o oĂč ce sont eux qui parlent. Je rĂ©cupĂ©rerais leurs histoires auprĂšs de leurs maĂźtres et j’imaginerais une maniĂšre de les faire parler. Je veux dĂ©placer le regard, recrĂ©er de l’intĂ©rĂȘt et ces diffĂ©rents projets sont mon moyen d’y arriver.

Mais comment les médias parlaient-ils de YouTube à ses débuts ? Si sa création en 2005 est quasiment passée sous les radars, un an plus tard, en 2006, la plateforme devient un phénomÚne médiatique.

La pire feature de l'histoire de YouTube, selon nous : les annotations

Les annotations sur une vidéo YouTube

Elles auront pourtant existĂ© prĂšs de 10 ans : les annotations YouTube. Jusqu’en 2017, les youtubeurs pouvaient ajouter des notes sur des portions de leurs vidĂ©os. Apparue en 2008, la fonctionnalitĂ© avait vocation Ă  impliquer davantage les publics en les encourageant notamment Ă  s’abonner ou consommer du contenu associĂ©. Pratiques, elles Ă©taient aussi utilisĂ©es pour faire des correctifs rapides. Mais mal ou trop utilisĂ©es, elles pouvaient ĂȘtre perçues comme du spam, et fonctionnaient difficilement (voire pas du tout) sur mobile.

Le fact-checking sur YouTube, ça existe ?

Depuis 2018, YouTube utilise des bandeaux contextuels pour contrer la dĂ©sinformation. Un algorithme analyse les images, les mĂ©tadonnĂ©es et mots-clĂ©s pour associer des informations fiables (provenant d’associations indĂ©pendantes de fact-checking) Ă  des vidĂ©os sur des sujets sensibles ou controversĂ©s. Cependant, le systĂšme n'est pas parfait : en 2019, une vidĂ©o de l'incendie de Notre-Dame a Ă©tĂ© incorrectement liĂ©e aux attentats du 11 septembre. En cours de dĂ©ploiement, la fonctionnalitĂ© n’est disponible que dans une poignĂ©e de pays dont les États-Unis, le BrĂ©sil ou encore l’Inde.

Les YouTube Notes, une fonctionnalité prometteuse

À l’instar de X, et bientĂŽt de Facebook et Instagram, YouTube expĂ©rimente depuis juin dernier un systĂšme de notes communautaires. BaptisĂ©e « Notes », cette fonctionnalitĂ© repose sur des contributions collaboratives : les utilisateurs peuvent ajouter des annotations Ă  un moment prĂ©cis d’une vidĂ©o pour apporter du contexte factuel ou signaler des erreurs et imprĂ©cisions. D’autres participants peuvent ensuite voter sur la pertinence de ces notes. Actuellement en phase de test aux États-Unis auprĂšs d’un nombre restreint d’utilisateurs, cette fonctionnalitĂ© pourrait devenir un outil complĂ©mentaire Ă  l’algorithme de fact-checking existant, offrant une approche plus manuelle et participative pour amĂ©liorer la qualitĂ© de l’information sur YouTube.

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