Parler de l'actu globale par le local đŸ€”

C'est le pari de la revue Pays !

Cette semaine, toute la rĂ©daction s’est passionnĂ©e pour un combat de gĂ©ants. Plus excitant que Godzilla versus King Kong, plus intense que l’attaque des titans ! L’affrontement juridique entre les gĂ©ants OpenAI et le New York Times s’annonce digne d’un blockbuster amĂ©ricain, alors on vous a prĂ©parĂ© une analyse aux petits oignons pour fĂȘter ça.

đŸŽ™ïž MĂ©dia’Talk : On reçoit Manon Boquen, rĂ©dactrice en chef de Pays, la revue qui explore les enjeux globaux par l’actualitĂ© locale.

đŸ€– IA quoi ? : Vous n’avez rien suivi au combat entre IA et mĂ©dias ? VoilĂ  Ă  quoi il faut s’attendre pour 2024 en 4 points.

🌍 Vu d’ailleurs : Le dĂ©clin de la presse locale amĂ©ricaine, bras de fer entre l’Australie et les GAFAM, Twitch durcit sa ligne concernant la nuditĂ©.

📊 Infographix : Plateformes, applis
 la guerre de l’audio dans les mĂ©dias.

« Pays a d’autant plus d’écho dans les territoires oĂč on vient combler un manque journalistique local »

Pays est une revue qui explore des enjeux globaux par le prisme local des diffĂ©rents territoires français. À l’occasion de la sortie du dernier numĂ©ro qui arpente les reliefs accidentĂ©s des Ardennes, sa rĂ©dactrice en chef Manon Boquen nous raconte les coulisses d’un jeune mĂ©dia qui privilĂ©gie le journalisme long et indĂ©pendant.

D’oĂč vient le concept de Pays ?

Il y a quatre ans, je me suis retrouvée confinée avec trois amis. Une graphiste, un photographe et un commercial. On avait déjà réfléchi à créer un média, mais là, on avait rien à faire, et rien à perdre.

L’idĂ©e de Pays est venue d’une double frustration. Certains sujets ne trouvent pas leur place en presse nationale, et en presse locale on manque de place et de temps pour les approfondir. On a dĂ©cidĂ© de faire une revue indĂ©pendante avec du journalisme long, en se disant que ces sujets pouvaient avoir un impact plus global.

Vous dites vouloir parler du global par le local. Comment ça se manifeste concrÚtement ?

On commence chaque numĂ©ro par une infographie avec des chiffres clĂ©s sur le territoire. Par exemple le nombre d’habitants ou des dates importantes de son histoire. Ça permet au lecteur de se reprĂ©senter le territoire, de le comparer avec le sien.

Ensuite, il n’y a pas besoin de forcer. Les enjeux locaux expliquent souvent des enjeux de sociĂ©tĂ© plus globaux. Le premier numĂ©ro de Pays par exemple Ă©tait sur Saint-Malo. Quand on parle de tourisme, ça raconte quelque chose de la sociĂ©tĂ© française. Pareil avec Mayotte, le dernier territoire Ă  ĂȘtre devenu un dĂ©partement. Les enjeux de migration, de colonisation ne se cantonnent pas Ă  l’üle.

Comment ne pas tomber dans les sujets clichĂ©s quand on parle d’un territoire ?

DĂ©jĂ , on travaille presque uniquement avec des pigistes du territoire dont on parle. Et dans le choix des sujets, on privilĂ©gie l’originalitĂ© des angles, plutĂŽt que l’expĂ©rience. Ça permet aussi de donner leur chance Ă  de jeunes journalistes locaux.

AprĂšs, il y a toujours des sujets incontournables dont il faut parler, car une partie de notre public ne connaĂźt pas bien le territoire. Mais une autre partie y a passĂ© toute sa vie, et on veut qu’eux aussi apprennent des choses sur l’endroit oĂč ils vivent. L’originalitĂ© permet de parler de ces sujets classiques sous un nouveau jour.

Pouvez-vous détailler plus précisément qui achÚte Pays ?

On s’est vite rendu compte qu’on avait deux types de publics trĂšs diffĂ©rents. Le premier, ce sont des cadres urbains de 30 ans qui viennent de toute la France, qui ont les moyens, car Pays a un coĂ»t assez consĂ©quent (29€ la revue). 

Le deuxiĂšme public, ce sont des habitants locaux des diffĂ©rents territoires. Avec des personnes plus ĂągĂ©es, environ 50 ans, qui nous connaissent via nos campagnes de financement participatives. Elles nous permettent d’ĂȘtre stables financiĂšrement et de proposer la revue sans publicitĂ©. C’est important, car d’expĂ©rience je connais les problĂšmes d’indĂ©pendance de la presse rĂ©gionale vis-Ă -vis des annonceurs locaux.

Quelle est l’édition qui a le mieux marchĂ© ?

Pour l’instant, c’est celle sur le Vercors. On a presque vendu les 3 000 exemplaires qu’on imprime pour chaque numĂ©ro. Mais c’est Ă©tonnant, car on pensait que l’édition sur Paris Belleville allait beaucoup mieux marcher, vu la sociologie du territoire avec beaucoup de cadres supĂ©rieurs. Et en fait pas du tout, c’est la campagne de financement qui a le moins fonctionnĂ©.

Avec l’expĂ©rience, on sait maintenant que Pays a d’autant plus d’écho dans les territoires oĂč on vient combler un manque journalistique local. Prenez Mayotte par exemple. Il n’y a plus de presse papier locale. C’est aussi une des Ă©ditions de Pays qui s’est le plus vendue.

Propos recueillis par Josué Toubin-Pierre

Vous n’avez rien suivi au combat entre IA et mĂ©dias ? VoilĂ  Ă  quoi il faut s’attendre pour 2024 en 4 points

Plainte du New York Times, accord avec Axel Springer (voir notre Ă©dition du 25 dĂ©cembre)
 OpenAI et les mĂ©dias, c’est une relation contrastĂ©e
 notamment Ă  cause des droits d’auteurs. L’effet « waouh » autour de ChatGPT est passĂ©, place aujourd’hui aux batailles juridiques, et on vous explique pourquoi ce sera le gros sujet de l’annĂ©e 2024 :

1ïžâƒŁâ€‹ Car les sommes proposĂ©es par OpenAI sont faibles :

Axel Springer et Associated Press ne sont pas les seuls à passer des accords avec la compagnie américaine : le groupe de presse locale Gannett, News Corps (qui possÚde le Wall Street Journal) et IAC (qui détient les magazines People ou Life) négocient eux aussi avec OpenAI, révélait le New York Times.

« Les Ă©changes sont positifs et progressent bien », avançait Tom Robin, responsable des contenus et de la propriĂ©tĂ© intellectuelle de la firme auprĂšs de l’agence Bloomberg. Vraiment si bien ? Pas Ă  en croire The Information car les montants frisent le ridicule, mĂȘme pour des petits Ă©diteurs : OpenAI serait prĂȘt Ă  donner 1 Ă  5 millions de dollars par an. En comparaison, Axel Springer devrait toucher plusieurs dizaines de millions de dollars, expliquait le Financial Times.

2ïžâƒŁâ€‹ Car la plainte du New York Times pourrait donner quelques idĂ©es en France :

« C’est le dĂ©but de la contre-attaque », expliquait Pierre Petillault, directeur gĂ©nĂ©ral de l’Apig (Alliance de la presse d'information gĂ©nĂ©rale) dans les colonnes des Echos. Jusqu’alors, l’Apig conseillait aux Ă©diteurs d’ajouter une ligne de code bloquant l’accĂšs des crawlers (les robots qui explorent et collectent automatiquement les contenus du web) Ă  leur site.

En clair, le robot qui visite le site est notifiĂ© qu’il ne peut pas collecter d’informations dessus. La question est de savoir si les crawlers respectent cet interdit. Et il y a de fortes raisons de douter. Bref, les nĂ©gociations seront compliquĂ©es, d’autant plus que Microsoft, seul vĂ©ritable interlocuteur dans l’Hexagone pour s’adresser Ă  OpenAI, refuse dĂ©jĂ  de nĂ©gocier autour des droits voisins, prĂ©cise Le Figaro.

3ïžâƒŁ Car juridiquement
 c’est compliquĂ© :

Au cƓur de la bataille, le droit, le droit et encore le droit. D’un cĂŽtĂ©, OpenAI  base son approche sur le fair use, le droit de fouille. ConcrĂštement, la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine peut entraĂźner ChatGPT par un usage « raisonnable » des contenus protĂ©gĂ©s par le droit d’auteur.

De l’autre cĂŽtĂ©, les Ă©diteurs de presse. Pour eux, la difficultĂ© est de prouver qu’OpenAI a effectivement volĂ© des articles. Le New York Times l’a fait mais le flou juridique rĂšgne mĂȘme si l’accord autour de l’AI Act au niveau europĂ©en posera des premiĂšres bases, au plus tĂŽt pour 2025.

​4ïžâƒŁ Car une autre IA va donner des maux de tĂȘte aux Ă©diteurs français :

Et cette IA, c’est celle de Google : Bard. Les mĂ©dias français poussent pour qu’une annexe IA soit rajoutĂ©e dans les renĂ©gociations autour des droits voisins, qui doivent dĂ©buter en juin, explique Le Figaro.

Dans le mĂȘme temps, le gĂ©ant amĂ©ricain veut implanter le SGE (Search Generative ExpĂ©rience) au sein de l’Union europĂ©enne : l’IA gĂ©nĂ©rative sera implantĂ©e dans le moteur de recherche de Google. Et ce paramĂštre pose de sĂ©rieuses questions aux Ă©diteurs : si ces derniers bloquent l’accĂšs de Bard Ă  leurs contenus, vont-ils toujours ĂȘtre bien rĂ©fĂ©rencĂ©s sur le web, analysent Les Echos. Google promet que cela sera « complĂštement dĂ©corrĂ©lĂ© ». À voir ce que le futur rĂ©serve aux Ă©diteurs de presse


Écrit par Thibault Linard
  • Qui pour sauver la presse locale amĂ©ricaine de son dĂ©clin sans fin ?

Chaque annĂ©e, le rapport de l’école de journalisme de Northwestern University (Illinois) sur l’état de la presse aux Etats-Unis est accablant : les journaux locaux s’effondrent dans des proportions dramatiques. Et la tendance s’accĂ©lĂšre en 2023 ! Plus de deux journaux disparaissent chaque semaine de la carte. 70 millions d’AmĂ©ricains n’ont plus accĂšs Ă  de l’info locale fiable
 InquiĂ©tant Ă  quelques mois du scrutin prĂ©sidentiel. Pour enrayer la chute, plusieurs associations ont crĂ©Ă© en septembre 2023 un fonds d’aide Ă  la presse locale, soutenu par d’importantes fondations philanthropiques. LancĂ© en 2019, l’American Journalism Project soutient quant Ă  lui 41 rĂ©dactions. Des appuis financiers bienvenus mais pas suffisants pour rĂ©implanter durablement la presse locale et renouer le lien avec les lecteurs. La Californie a justement choisi de financer une formation Ă  l’information locale Ă  Berkeley et tente de pĂ©renniser la cinquantaine de rĂ©dactions indĂ©pendantes qui ont vu le jour dans l'État depuis cinq ans.

  • Australie vs GAFAM : la guerre est dĂ©clarĂ©e pour le financement des mĂ©dias.

Google et Meta qui captent la majoritĂ© des revenus publicitaires, des mĂ©dias d’informations nationaux se sentant lĂ©sĂ©s et un État qui tente de contraindre les premiers Ă  reverser une partie de leurs recettes aux seconds. On commence Ă  connaĂźtre le tableau. Le gouvernement australien Ă©tait parvenu Ă  se sortir du traquenard en 2021, obtenant des GAFAM la signature d’accords financiers avec les grands groupes de mĂ©dias du pays. Mais la donne a changĂ© en 2024 : les contrats arrivent Ă  expiration et les gĂ©ants amĂ©ricains ne sont plus disposĂ©s Ă  sortir le chĂ©quier. Meta n’a plus peur de tenir tĂȘte aux Etats qui veulent le voir payer, comme au Canada, oĂč le groupe a dĂ©cidĂ© de retirer tous les articles de presse de Facebook depuis six mois. Reste Ă  savoir si le gouvernement australien saura se montrer plus contraignant.

  •  AprĂšs les dĂ©bordements, Twitch a tranchĂ© : fini la nuditĂ© ! 

Le 14 dĂ©cembre dernier, Twitch dĂ©cide de rĂ©pondre Ă  ses dĂ©tracteurs qui jugent les rĂšgles de modĂ©ration trop strictes et floues. La plateforme de streaming annonce l’autorisation de la nuditĂ© ! À condition qu’elle soit « artistique » et labellisĂ©e « contenu suggestif » sur le site. Dessins Ă©rotiques, strip tease, pole dance
 Twitch fait sa rĂ©volution. En quelques heures, la plateforme change de visage : des milliers de lives Ă  caractĂšres sexuels envahissent son interface. Certains contenus sont clairement pornographiques, d’autres pĂ©dopornographiques. Moins de 48h aprĂšs, Twitch rĂ©tropĂ©dale. La stricte interdiction de la nuditĂ© redevient la rĂšgle. Le 3 janvier, la plateforme en rajoute une couche : les streameurs ne peuvent plus suggĂ©rer qu’ils sont nus, mĂȘme si leurs organes gĂ©nitaux sont hors du champ de la camĂ©ra ou masquĂ©s par une barre de censure. Une maniĂšre pour Twitch de clore dĂ©finitivement la parenthĂšse tumultueuse ouverte mi-dĂ©cembre.

Écrit par Christian Mouly
Infographie réalisée par Khadidiatou Goro

Et pour finir


ChatGPT devient de plus en plus mauvais ? C’est ce que montre une petite vidĂ©o YouTube au titre un brin provocant de la chaĂźne d’Underscore_. Il y montre que les nouvelles versions de chaque IA sont de moins en moins qualitatives. Exemple : la version de juin 2023 de GPT 4 est moins performante que celle de mars 2023. Surprenant.